Comment adapter nos logements aux nouvelles vies des seniors ?

La proportion de seniors au sein de la population est en hausse constante. Cette évolution nécessite d’adapter les logements existants et d’imaginer de nouvelles manières de construire plus inclusives, comme à Singapour.

Habitat adaptable

En 2050, le monde aura subi une transition démographique majeure nécessitant de repenser nos habitats : d’ici la moitié du XXIe siècle, les personnes âgées de 60 ans ou plus seront en effet plus nombreuses que les jeunes âgés de 15 à 24 ans, selon l’Organisation Mondiale de la Santé.

Grâce à l’espérance de vie prolongée par les progrès médicaux et du fait d’une natalité en baisse dans de nombreux territoires, le vieillissement de la population s’accélère. Alors que le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus dépasse déjà celui des enfants de moins de cinq ans, leur proportion dans la population mondiale augmentera de 34 % entre 2015 et 2050. Cette évolution pose de nombreux défis en matière de politiques de santé mais également de construction durable : le maintien à domicile étant privilégié par les seniors, leur habitat se doit d’évoluer pour garantir confort, sécurité et accessibilité.

La tâche est immense, tant le parc immobilier contemporain ne remplit pas aujourd’hui l’objectif. Selon le rapport State of Ageing in 2020, réalisé par l’organisme londonien Center for Ageing Better, près d’un tiers des personnes âgées de 50 ans et plus considèrent que leur logement nécessite des travaux afin de le rendre adapté à leur vieillissement. Le coût d’une rénovation est cité comme principal frein à la mise en œuvre de ces indispensables adaptations.

Le Center for Ageing Better liste quatre critères nécessaires pour rendre un logement habitable par tous les profils, tant pour garantir son confort que sa compatibilité avec un éventuel usage de fauteuil roulant : la présence d’un WC au rez-de-chaussée, des portes et couloirs larges, un seuil affleurant (soit une surface plane pour passer de l’extérieur à l’intérieur) et un moyen d’accéder aisément aux éventuels étages supérieurs. Seulement 9 % des maisons cumulent ces quatre caractéristiques en Angleterre.

Habitat adaptable
La solution du logement adaptable

Pour adresser la question de l’autonomie liée à l’âge, rendre l’habitat plus modulable fait partie des pistes d’aménagement privilégiées. Selon le sociologue Yankel Fijalkow, codirecteur du Centre de recherche sur l’habitat (CRH), “ l’habitat évolutif, qui consiste à augmenter ou réduire le nombre de pièces d’un logement en fonction des étapes de la vie et des allers-retours de l’entourage familial, peut être une réponse à ces évolutions ”.

Pointant le fait que “ de nombreuses personnes âgées se retrouvent dans des logements qui, par leur taille, ne sont plus forcément adaptés à leurs besoins ”, le chercheur estime que “ l’habitat adaptable peut aider à prendre soin de ces populations fragiles pour éviter qu’elles ne se retrouvent cloisonnées ”.

Dès leur conception, les logements devraient ainsi privilégier des matériaux et des équipements versatiles pouvant s’adapter l’évolution des occupants : on peut citer l’exemple d’une salle de bains préfabriquée réversible, ou encore de murs capables de supporter des charges lourdes avec l’ajout de barres de maintien pour faciliter la mobilité.

Parmi les recommandations du Center for Ageing Better figure l’investissement dans “ la rénovation des logements existants pour augmenter leur sécurité, leur connexion à des services numériques et leur efficacité énergétique ”. L'organisme préconise d’intégrer le bien-être futur d’occupants seniors dès la phase de conception des programmes immobiliers, même en cas d’installation d’un couple de trentenaires : “ les logements neufs doivent être construits pour les personnes de tous les âges qui pourraient y habiter, pas uniquement pour leurs premiers résidents ”. En clair, mieux vaut anticiper pour ne pas être dépourvu une fois la bascule démographique atteinte ; cette stratégie s’observe d’ores et déjà dans plusieurs pays asiatiques. 

En Asie, l’exemple de Singapour

La zone Asie-Pacifique est également pleinement engagée dans le défi de la transition démographique. Selon la Asian Development Bank (ADB), un quart de ses habitants auront plus de 60 ans en 2050, soit pas moins de 1,3 milliard de citoyens. Si la transition se fera, selon la banque, de manière assez progressive en Indonésie, elle prédit une transition démographique “ très rapide ” dans des pays comme la Chine, la Thaïlande ou le Vietnam.

Singapour constitue l’exemple le plus criant en termes de besoin d’adaptation rapide : cette cité-État insulaire, troisième pays le plus dense au monde, comptait 14,4 % de personnes âgées de 65 ans et plus en 2019. Dès 2030, elles représenteront 25 % de la population selon l’ADB. Pour faire face à ce défi, les autorités ont débloqué 2 milliards d’euros en 2015 pour lancer une série d’initiatives multi-sectorielles afin de faire de Singapour “ une ville adaptée au grand-âge, pour qu’une longue vie soit un bienfait plutôt qu’un poids pour la communauté, les familles ou l’État ”. En matière de logement, cette stratégie se traduit notamment par l’esprit “kampung” revendiqué par de nombreux projets d’aménagements.

En malaisien, l’une des langues officielles de Singapour, “kampung” signifie “village”. Le pays prône ainsi un vieillissement près de chez soi, avec des liens de voisinage forts et une entraide communautaire. Le bâtiment Kampung Admiralty, complexe à usage mixte inauguré en 2017, illustre cet objectif. Comme sa principale architecte Pearl Chia (agence WOHA) l’explique dans un reportage du site Oldissey, Kampung Admiralty “ est probablement le premier projet injectant à la fois des logements pour personnes âgées avec des services de santé, des commerces de proximité, des centres médicaux et des activités sociales ”.
 

Reportage sur le Kampung Admiralty

Cet espace intergénérationnel, dont le résident type est âgé de 55 ans et propriétaire de son appartement avec un bail de 30 ans, se compose de trois niveaux distincts. Au rez-de-chaussée, une place centrale ouverte au public est entourée de magasins et de restaurants. La partie centrale est occupée par un centre médical, tandis qu’une crèche et un “ club pour les seniors actifs ”, proposant des activités, se trouvent au 6e et 7e étage. Les 104 appartements pour seniors sont répartis dans les deux immeubles de 11 étages qui surplombent ce “kampung vertical” par ailleurs très végétalisé et lauréat en 2018 du prix World Building of the Year.

“ Nous avons conçu le bâtiment avec les principes de design universel à l’esprit, les espaces sont tous adaptés aux besoins des personnes âgées, sans obstacle ” explique l’architecte Pearl Chia, dont l’approche pour ce projet résume l’esprit de prévoyance qui prévaut à Singapour. “ La plupart du temps, on commence à aider les personnes âgées quand ils sont déjà malades ou très dépendants ; ici, le projet s’intéresse à tout ce qui peut être fait avant ”.

Les progrès en matière de construction durable et légère permettent aujourd’hui d’envisager l’avenir avec confiance et sérénité. Proposer des logements capables de s’adapter aux évolutions des habitants est l’un des piliers d’une société inclusive.

 

Crédit : Shutterstock