“La meilleure énergie, c'est celle qu'on ne dépense pas”

Benoit Bazin, Directeur Général de Saint-Gobain, nous livre son analyse sur la construction durable et légère, point phare de la stratégie Grow & Impact du Groupe qui vise la neutralité carbone d’ici 2050.

Benoit Bazin

De quoi parle-t-on exactement en évoquant la “construction durable” ?

C’est une approche complète sur l'ensemble de la vie d’un bâtiment, de sa conception à sa possible démolition, et qui prend en compte son impact sur la planète.

Cette approche est essentielle et nécessaire : 40 % des émissions de CO2 proviennent des bâtiments publics et privés. C'est de très loin la première source d'émissions, d’où l’importance de la rénovation énergétique pour les réduire dans l’ancien, avec 97 % du parc existant en Europe qui doit être réhabilité. Pour le neuf, de nouveaux modes constructifs réduisent la ponction des ressources naturelles : la construction légère, autour d’une ossature qui peut être en bois, en béton, ou en acier, permet d’économiser jusqu’à 50 % du poids des matériaux par rapport à une construction traditionnelle en murs pleins.

Derrière la notion de construction durable, c’est aussi la question du confort et de la qualité de vie qui est abordée. On touche à l’intime, puisque cela concerne l’espace personnel où l’on s’épanouit mais aussi où l’on enseigne, où l’on travaille avec l’essor du distanciel. On ne vit pas de la même façon en cas d’absence de lumière naturelle ou d’acoustique adaptée, par exemple.

 

Comment mettre en place cette transition vers de nouvelles approches au sein d’un Groupe de la taille de Saint-Gobain ?

Par notre présence dans 75 pays, nous avons vocation à déployer nos solutions partout dans le monde. À cette capacité d'échelle s’ajoute notre force d’être impliqués dans toutes les étapes de la chaîne de valeur, de la recherche et développement à la fabrication des matériaux, puis de leur distribution, jusqu’à la formation des artisans ou au recyclage des matériaux en fin de vie. Devenir leader de la construction durable, ce n'est pas uniquement inventer de nouveaux matériaux, c'est aussi être capable de faire bouger cette chaîne de valeur parfois encore fragmentée et conservatrice. Dans le monde de la construction, nous avons déjà des solutions concrètes pour construire des maisons passives voire à énergie positive.

En interne, nous encourageons aussi les initiatives de salariés pour décarboner nos procédés, et nos pratiques individuelles. Plus d’un millier ont été recensées l’an dernier rien qu’en Europe. Au niveau local, des innovations foisonnent un peu partout. Je pense notamment à l’ouverture prochaine de notre sixième usine de plaques de plâtre en Inde, à Vizag. C’est une région de rizières, donc nous allons utiliser l’écorce de riz qui sera compactée pour fabriquer les briquettes. Ce sont elles qui fournissent ensuite l’énergie des séchoirs utilisés pour fabriquer les plaques de plâtre. Cette utilisation de biomasse issue d’une ressource locale remplacera ainsi l’usage du gaz pour fournir l’énergie nécessaire. Autre exemple en Norvège, où une usine de plâtre est en train d’être transformée pour devenir elle aussi zéro carbone. À la place du gaz, le site sera alimenté en électricité d'origine hydraulique grâce à la proximité d’un fjord. La technologie progresse à grands pas, le Groupe est ainsi récemment devenu le premier acteur au monde à réaliser une production zéro carbone de verre plat, dans une usine du nord de la France.

Rénovation

Le temps est précieux pour gérer une telle transition, mais est-ce possible d’aller vite pour une multinationale avec plus de 166 000 collaborateurs ?

S'il est bien organisé autour d’un nombre raisonnable de priorités claires, un grand Groupe peut agir rapidement. L'urgence climatique nous impose d’aller très vite, et le monde lui-même est bousculé fréquemment, comme l’ont montré la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Il y a aujourd’hui un alignement contraint entre la nécessité de décarboner les bâtiments pour l’environnement, pour le pouvoir d'achat des ménages que menace la hausse des prix de l’énergie, et pour la souveraineté nationale liée à l’indépendance énergétique. La meilleure énergie, c'est celle qu'on ne dépense pas quand on a bien isolé sa maison ! Notre stratégie nous conduit à mesurer l’impact de nos solutions. Aujourd’hui, les solutions durables représentent 72 % du chiffre d’affaires du Groupe.

Notre plan consiste à mesurer l’impact de nos produits sur un ensemble de cas d’usage, qu’il s’agisse de rénovation ou de construction, de bâtiments individuels ou collectifs, etc. Pour chacun des cas, nous évaluons les bienfaits de nos solutions en matière d’acoustique, de performance énergétique, de confort visuel, de qualité de l’air, etc. On vise un effet boule de neige vertueux : plus l’impact sera positif, plus la croissance sera au rendez-vous, et vice-versa.

 

Dans de nombreux pays, le secteur de la construction souffre de difficultés de recrutement. Comment augmenter son attractivité ?

Notre raison d'être « Making The World a Better Home » est très attractive. Elle s’inscrit aussi dans des réalisations physiques que l’on peut montrer à nos proches, à nos familles. Au travail, si vous êtes ingénieur dans une de nos usines, vous allez voir ce qui sort des lignes de production, ce qui est plus concret que bien des univers de la tech ou de la finance par exemple.

L’an dernier en France, sur les 5 800 personnes embauchées par Saint-Gobain, la moitié avait moins de 26 ans. Nous avons créé un centre de formation des apprentis (CFA) avec trois filières - vente-marketing, maintenance industrielle et logistique - qui monte en puissance et a plus que triplé sa capacité d’accueil depuis sa création en 2020.

Il faut faire comprendre que le monde de la construction bouge. Il est moderne, innovant, digital. Désormais, on utilise des maquettes numériques, on est capable de mesurer les émissions de CO2 par mètre carré, d’affiner les performances énergétiques d'un bâtiment via des Building Management System. Et quel que soit le métier, rappelons que l’artisanat constitue un vivier d’emplois non-délocalisables, qu’on devrait promouvoir davantage. Je dis souvent aux représentants de ces métiers qu’il faudrait un programme télévisé phare, l’équivalent de ce qu’a été Top Chef pour la restauration. Pourquoi pas un Top Artisan rénovateur ? Ce sont des métiers nobles qui portent du sens et permettent de gagner correctement sa vie. Le nombre d’opportunités est monumental car les carnets de commandes sont pleins. Il est impératif de rajeunir ce secteur innovant.

Apprentie

En tant que citoyen, et donc pas uniquement en tant que patron, qu'est-ce qui vous tient particulièrement à cœur en matière sociale et environnementale ?

Le sujet social qui me tient le plus à cœur, c'est l'éducation, la transmission. C'est un devoir vis-à-vis des nouvelles générations. Je pense qu'un pays qui n'investit plus assez dans l'éducation se meurt. Cet attachement à la transmission passe aussi par le recrutement et l’accompagnement. Chaque année, Saint-Gobain accueille ainsi 500 stagiaires et 2000 alternants en France. Moi-même, j'ai d’ailleurs commencé comme stagiaire dans l’entreprise, à 23 ans !

Quant à la protection de l'environnement, cette question dépasse de loin la préservation de telle ou telle espèce, puisque cela concerne le vivant au sens large. On ne peut pas s’en abstraire : il s’agit d’une question de survie fondamentale. Par environnement, j’entends aussi le mot au sens sociologique, qu’il s’agisse de nos habitats ou de nos lieux de travail. Cet environnement là aussi doit être protégé, pour garantir le bien-être et l’équilibre de nos sociétés.

Crédits : Eric Garault / © Saint-Gobain ISOVER / © iStock/GettyImages