Guerre des talents : l’emploi en tension, aux quatre coins du monde

Partout dans le monde, la « guerre des talents » fait rage. Derrière cette expression se cachent de vraies difficultés de recrutement pour les entreprises. Mais dans quel contexte intervient cette « guerre » ? Ces talents pour lesquels tout le monde se bat sont-ils les mêmes en Pologne ou aux États-Unis ? Et comment cette situation fait-elle évoluer les pratiques ? Éclairages.

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Recruter les talents : un défi d’entreprise
Pour recruter et retenir les talents, il n’existe pas une solution miracle. Il s’agit plutôt d’une palette d’actions à mener en parallèle et de manière coordonnée.

La guerre des talents : un défi d’entreprise

C’est à la fin des années 1990 que l’expression « guerre des talents » apparaît. Elle désigne une tension sur le marché du travail, entre la pénurie de ressources ou de certaines compétences, et la difficulté pour l’entreprise de recruter et retenir les talents. Le terme « guerre des talents », d’abord inventé par Steven Hankin en 1997, est repris par trois collaborateurs du cabinet McKinsey dans un ouvrage intitulé « The War for talent » paru en 2001. D’ailleurs Gilles-Henri Dubouillon, Directeur Group Talent & Executive Career Management, trouve cette expression inappropriée. En effet, si la « guerre des talents » faisait autrefois référence à une pénurie de cadres de haut niveau, elle concerne aujourd’hui des « compétences pénuriques » à tous les niveaux des organisations, y compris sur le terrain et en usine.

 

Ce phénomène, que nos sociétés traversent périodiquement, connaît un pic actuellement. Alors que la crise sanitaire n’en finit pas de se terminer, après des confinements successifs et une crise économique lourde, la reprise est là. Et elle est mondiale. Avec une conséquence imprévue : dans de nombreux pays, et dans différents domaines, les entreprises peinent à recruter certaines compétences, à les retenir et à les fidéliser.

 

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L’emploi en tension : une problématique mondiale

Ainsi, en Europe de l’Est - notamment en République tchèque et en Pologne, deux pays fortement industrialisés - la concurrence fait rage. La fermeture des frontières due à la crise sanitaire a restreint les recrutements en provenance des pays frontaliers. Résultat ? Une pénurie de main d’œuvre bien réelle et des industries en mal d’opérateurs. Comment alors attirer des collaborateurs locaux peu qualifiés… mais très courtisés ? Car si le niveau de salaire est un levier qui peut permettre d’attirer, cela ne suffit pas pour fidéliser.

C’est dans les métiers de l’artisanat que l’Europe occidentale connaît, quant à elle, un manque de main d’œuvre. Défaut de filières, crise des vocations, difficile aujourd’hui pour les entreprises de l’artisanat de trouver de nouveaux collaborateurs. Alors comme ces experts sont essentiels pour un Groupe comme Saint-Gobain, l’entreprise a décidé de créer des programmes de formation dédiés aux métiers de l’artisanat.

Aux États-Unis, on note une large désaffection des postes en usine. Les opérateurs leur préfèrent souvent les métiers de la logistique ou encore du service après-vente. Les postes de livreur, de chauffeur ou d’employé en centre d’appel ont d’ailleurs le vent en poupe. Pour preuve : les plateformes logistiques des géants du e-commerce comme Amazon, en nombre toujours croissant, attirent de plus en plus les jeunes générations.

La pénurie de compétences sévit également dans d’autres domaines stratégiques, aux enjeux majeurs. Ainsi, l’explosion du Big Data ou encore la prise en compte des enjeux environnementaux, éthiques et sociétaux des entreprises ont fait naître de nouveaux métiers : Data Science, Cyber-Sécurité, ou RSE sont en quête constante de nouveaux collaborateurs. Une tâche compliquée car… pour un grand nombre d’entre eux, ces (futurs) experts sont encore en train de se former sur les bancs des écoles et des universités 

Le saviez-vous ?

Le Groupe Saint-Gobain prévoit de recruter environ 36 000 collaborateurs dans le monde en 2022.

Retenir et fidéliser : comment gagner la bataille

Si la guerre des talents a fait du recrutement son cheval de bataille, faire grandir et accompagner l’évolution de ses collaborateurs sont des arguments d’attractivité tout aussi importants.

 

« Dans un marché du travail orienté en faveur des candidats, il faut avoir des arguments ! » explique Gilles-Henri Dubouillon, et l’aspect financier n’est pas le seul levier. Les valeurs, l’éthique, le rôle dans la société et l’impact positif pour la planète sont également des arguments-clefs pour attirer les jeunes générations. Et puis, une fois à bord, l’intégration, l’atmosphère de travail et une culture inclusive sont fondamentaux pour les fidéliser, au même titre que le développement de carrière ou encore la mobilité géographique. « Chez Saint-Gobain nous favorisons le développement d’une culture TEC (Trust, Empowerment, Collaboration c’est-à-dire Confiance, Responsabilisation, Collaboration), couplée à une approche managériale plus participative et engageante pour fidéliser les talents. »

 

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Le sens, les valeurs et la raison d’être d’une entreprise sont également des arguments de poids de la marque employeur. « La contribution et l’impact positif sur la planète qu’ambitionne Saint-Gobain avec son objectif de neutralité carbone en 2050, ainsi que sa raison d’être Making the World a Better Home sont des arguments très forts pour recruter et fidéliser nos collaborateurs, notamment les jeunes générations » ajoute Gilles-Henri Dubouillon.

 

De nouvelles pratiques de recrutement

Cette pénurie de main d’œuvre et de talents implique nécessairement une évolution des méthodes de recrutement. Comment, alors, mieux et davantage attirer – qu’il s’agisse d’opérateurs ou d’experts dans des nouveaux métiers – dans un marché de l’emploi très concurrentiel, aux quatre coins du monde ? En dépoussiérant un peu les méthodes traditionnelles de recrutement. Un exemple, en France : pour la mise en service, au premier trimestre 2022, de sa future usine d’éoliennes en mer, dans la ville du Havre, l’entreprise Siemens Gamesa devait procéder à un recrutement massif d’ouvriers. Au traditionnel duo CV et lettre de motivation, c’est le recrutement par simulation qui a été privilégié. Il s’agissait de tester les candidats lors de mises en situation semblables à celles auxquelles ils pourraient être confrontés dans leur futur poste. L’avantage de cette technique est qu’elle évalue les capacités du candidat plutôt que ses diplômes et ses expériences, permettant de repérer des profils qui n’auraient pas été retenus selon le processus de recrutement habituel.

 

Si, pour les postes de direction, les chasseurs de tête représentent encore souvent le moyen privilégié pour dénicher des talents, pour le recrutement des collaborateurs des niveaux intermédiaires, généralement plus jeunes, Saint-Gobain a choisi d’innover. Avec l’explosion du numérique, l’entreprise a décidé d’adapter ses processus en créant ses propres équipes de recrutement spécialisées dans les médias sociaux. Des « Talent Acquisition Teams » sont établies dans plusieurs pays et pour tous les métiers du Groupe. Ils dénichent et communiquent avec les futures recrues via les plateformes de recrutement en ligne.

 

Les futurs cadres et managers du géant Unilever, eux, devront franchir les premières étapes de leur recrutement en passant par un outil d’Intelligence Artificielle (IA) élaboré spécifiquement pour le Groupe. Pour favoriser la diversité, mais aussi le potentiel et les compétences des candidats, leur CV et leur patronyme ne sont pas révélés. Seules importent les capacités du candidat à accomplir un jeu virtuel, une interview vidéo et une journée « comme en vrai » au bureau chez Unilever. Trois étapes pilotées par un système d’IA. Seulement ensuite viendra une réunion avec les managers, pour gagner en temps et en efficacité.

 

L’ancrage local au cœur

De toute façon, pour recruter, en pleine guerre des talents, « l’ancrage des entreprises dans les communautés locales » est essentiel, estime Gilles-Henri Dubouillon. « Nous devons être présents dans les écoles, dans les universités, auprès des instituts de formation et intégrer des stagiaires, des apprentis, des alternants pour faire connaître notre Groupe et ses valeurs aux jeunes générations. Le recrutement de proximité et la cooptation sont des leviers forts de recrutement » affirme le dirigeant.

« Nous n’avons jamais assez de talents ! », conclut Gilles-Henri Dubouillon « La pire des situations pour une entreprise, c’est de ne pas avoir assez de ressources humaines pour alimenter la croissance. Sans ressources humaines, il n’y a pas de croissance ! » ajoute-t-il avec force.

Demain, les entreprises devront relever le défi de développer de nouvelles compétences, afin d’anticiper la recherche constante de talents rares… dont le profil, on l’aura compris, varie en fonction des marchés et des pays.

 

 

Crédits photos : Andrey_Popov/Shutterstock // Dusan Petkovic/Shutterstock

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