Magda Maaoui : les perspectives en matière de quartiers durables

De la banlieue parisienne aux suburbs californiennes, tour d’horizon des perspectives en matière de quartiers durables avec Magda Maaoui, docteure en urbanisme.

Ecoquartier
Magda Maaoui

Docteure en urbanisme de l'université Columbia de New York et ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, Magda Maaoui est agrégée de géographie. Avec une approche comparative (Amérique du Nord, Europe) et des outils méthodologiques mixtes (quantitatifs et qualitatifs), sa recherche porte sur la façon dont les modèles d’urbanisme sont adaptés selon les lieux.

Sensible à l’impact des politiques de logement sur les inégalités, la chercheuse étudie également le rôle des acteurs de l’urbanisme, publics et privés, dans la production de grands projets immobiliers de quartiers populaires de grandes métropoles (Paris et New York).

Comment s’est développée au fil du temps la notion d’écoquartier ?

Parler d’écoquartier, c’est faire référence à une manière de construire, de densifier et de produire du logement à moindre coût environnemental. C’est un néologisme, puisque le terme n’existait pas au commencement de la planification urbaine. À partir des années 1980, une certaine prise de conscience environnementale prend son essor au niveau international. On commence à parler de “développement durable”, notamment en urbanisme. Pour être dans l’air du temps, certaines initiatives économiques et sociétales sont à l’époque présentées comme “écologiques”, sans forcément être très efficaces. Certaines n’empêchent ainsi pas la surexploitation des ressources et relèvent plutôt du greenwashing.

Cela impulse néanmoins un mouvement nécessaire qui va s’amplifier au cours des décennies suivantes, notamment avec la multiplication des écoquartiers d’abord expérimentés en Europe du Nord. Reste désormais à trouver la solution pour les construire à grande échelle, de manière systématique. Actuellement, comme ils ne peuvent pas être proposés partout, cette sélection entraîne des inégalités territoriales qui pourraient être réduites en multipliant les campagnes de rénovation plus ambitieuses. De l’Union Européenne aux villes en passant par les États, toute la chaîne de responsabilités est concernée.

 

Comment s’assurer qu’un écoquartier tient toutes ses promesses ?

Il y a deux temporalités différentes. Durant la phase de chantier, des engagements doivent être suivis pour réduire le coût environnemental, par exemple avec une consommation d’eau responsable, l’usage de matériaux réutilisables ou le recyclage des déchets. Mais c’est évidemment sur le long terme qu’il faut aussi être vigilant.

En France, un label officiel “Ecoquartier” a été créé en 2012, avec une série d’étapes à respecter. On peut citer la signature d’une charte dès l’émergence du projet d’aménagement, qui comprend une vingtaine d’engagements à respecter. Parmi eux, on trouve notamment “travailler en priorité sur la ville existante et proposer une densité adaptée pour lutter contre l’artificialisation des sols” et “viser la sobriété énergétique, la baisse des émissions de CO et la diversification des sources au profit des énergies renouvelables et de récupération”

Trois ans après la construction, une évaluation est obligatoire pour confirmer l’obtention du label. On vérifie la résistance des matériaux, car il faut proposer des infrastructures qui durent sans nécessiter une rénovation constante. Les performances d’isolation thermique sont inspectées, tout comme l’état des panneaux photovoltaïques. Il faut par exemple s’assurer que les résidents de l’écoquartier consomment moins d’énergie que leurs voisins d’un quartier non labellisé, pour garantir l’effet levier du projet.

 

Construire de manière durable est indispensable mais pas suffisant : comment faire pour que nos habitudes de citoyens s’adaptent à leur tour ?

On peut changer les mentalités et les comportements des habitants grâce aux politiques publiques. Cela passe par un mélange d’incitations et de contraintes. Ce qui est sûr, c’est que la réponse ne se trouve pas dans la criminalisation de propriétaires de pavillons, qu’ils soient en périphérie française ou dans les suburbs américaines. On ne va pas les expulser pour les forcer à habiter en cœur de ville ! En revanche, les décideurs et aménageurs de demain peuvent densifier et construire plus, et ce, dès aujourd’hui, tout en luttant contre l’étalement urbain.

C’est ce qu’on observe au niveau de la métropole du Grand Paris avec la densification résidentielle et de services autour des grands nœuds de transports en construction. Les acteurs publics, en partenariat avec ceux du privé, dessinent la ville de demain en désenclavant des zones mal desservies grâce aux futures stations de tramway et de métro. L’ambition de ce projet est de garantir aux habitants une plus grande facilité à utiliser les transports en commun plutôt que leur voiture individuelle. Il s’agit de proposer aux propriétaires de logements des options alternatives.

Rebuild By Design

La multiplication des catastrophes climatiques accélère également des prises de décisions fortes, n’est-ce pas ?

Tout à fait, et l’exemple de New York après l’ouragan Sandy l’illustre bien. À l’automne 2012, cette catastrophe a mis en lumière les inégalités de la ville, très vulnérable aux grandes tempêtes, particulièrement dans les quartiers les plus défavorisés. Les décideurs ont répondu à cette crise en lançant l’initiative Rebuild by Design, une compétition entre experts financée à hauteur d’un milliard de dollars pour réinventer l’habitat local et adapter la métropole autour d’un mot d’ordre : la résilience. À l’échelle de l'État de New York, des projets de relance pour lutter contre la montée des eaux et protéger les zones les plus exposées ont ainsi été soutenus en priorité. Fin 2021, à la suite d’un référendum local, l’État de New York a inscrit dans sa Constitution « le droit à un environnement sain » pour ses habitants. Cela a permis aux autorités locales de revoir à la hausse les ambitions d’une future loi visant à contrer les effets du réchauffement climatique : son budget s’élève désormais à 4,2 milliards de dollars ! Les électeurs seront invités à voter pour ce Clean Water, Clean Air, and Green Jobs Environmental Bond Act à l’automne 2022.

 

Observe-t-on le même genre d’impulsion dans d’autres métropoles américaines, notamment sur la côte Ouest ?

Aux Etats-Unis, on observe de fortes disparités selon les territoires en matière de construction durable. Depuis les années 1980, l'État fédéral a délégué de nombreuses responsabilités aux municipalités ayant des budgets bien plus limités. En revanche, on trouve de nombreux pionniers locaux de l’aménagement durable, par exemple à Seattle, San Francisco ou Los Angeles. Les villes de la côte Ouest sont relativement jeunes, fortement marquées par l’étalement urbain, avec une très forte consommation des ressources, et de nombreuses initiatives ont vu le jour pour lutter contre ces problèmes.

A Los Angeles, une coalition d’élus, de chercheurs et d'associations se mobilise depuis une dizaine d’années pour rendre obligatoire une meilleure densification résidentielle des villes. C’est ce qu’on désigne par l’approche BIMBY, pour « Build In My Backyard » (« construisez dans mon jardin ») par opposition au fameux mot d’ordre NIMBY (« Not In My Backyard », pour « pas dans mon jardin »). Il ne s’agit pas de rayer de la carte des pavillons de suburbs, mais de corriger l’étalement urbain en autorisant et en incitant les propriétaires à densifier leur pavillon, par exemple via la transformation d’un garage en unité de logement supplémentaire.

 

Malgré la récente multiplication de crises (sanitaire, géopolitique, économique), est-ce que des signaux encourageants permettent d’être optimistes ?

Le conflit en Ukraine a mis en évidence la dépendance de l’Europe vis-à-vis des hydrocarbures, et la nécessité d’accélérer la transition écologique. Des acteurs engagés dans la préservation de l’environnement vont sans doute être mieux écoutés, et espérons-le mieux soutenus, par exemple via des subventions publiques plus faciles à obtenir. On n’est plus au stade de l’éveil, mais de l’action !

 

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