HOME : dans une ville plus frugale, aux ressources partagées

Mieux habiter la terre, c’est aussi apprendre à mieux la partager. Pour cela, il faut inventer des villes plus économes en énergie et en ressources, qui favorisent le lien à l’échelle locale, et repenser les notions de bien commun et d’espace partagé. Partout dans le monde, des solutions émergent pour imaginer ensemble cette nouvelle proximité.

Pour une ville frugale

Jean Haëntjens, économiste et urbaniste

 

« En 2010, le concept de ville durable s’égarait à la fois dans le flou et dans la norme administrative. Il fallait proposer un concept qui permette de concilier l’ambition écologique avec le plaisir urbain et la maîtrise des coûts. » Par Jean Haëntjens, économiste et urbaniste auteur de « La ville frugale » (FYP, 2011) et « Eco-urbanisme » (Ecosociété, 2015).

Le concept épicurien de frugalité (du latin fructus, le fruit) répondait bien à cette exigence. Projeté dans le champ de l’urbain, il a conduit à poser clairement trois questions : comment concilier le désir d’espace et la compacité ? Le désir de mobilité et la sobriété énergétique ? L’attractivité et l’économie de moyens ?

Le modèle urbain qui permet de répondre de façon optimale à ces questions est une ville de densité moyenne, acceptant différentes formes d’habitats (petits collectifs, maisons de ville). Elle est structurée en quartiers où l’on peut accéder à pied aux principaux services urbains. Ces quartiers sont reliés entre eux par des réseaux de transports collectifs qui se croisent en différents points (réseau en toile) et pas seulement en un point central (réseau en étoile). Cette structure permet de répartir les flux et les lieux de centralité. Pour être à la fois vivante et respirante, la ville frugale s’intéresse moins à la surface des espaces verts qu’à leurs usages et à leur disposition. Jardins de cœur d’îlot, squares de quartiers, parcs urbains et forêts périurbaines sont reliés entre eux par des circulations vertes qui maillent toute la ville.

 

 

Les transformations à réaliser pour se rapprocher de ce schéma de référence dépendent évidemment des contextes. Dans les villes ou structures urbaines peu denses, il faudra ajouter des constructions dans les vides. Les tissus urbains trop denses devront, au contraire, être aérés par des circulations vertes qui se substitueront à certaines emprises routières ou à des friches militaires ou industrielles. Partout, il faudra compléter les lignes de transport « en étoile » depuis le centre, par des lignes « en rocade », c’est-à-dire périphériques (comme le fait le Grand Paris Express) et développer de nouvelles polarités aux points de croisement.

Cette ville frugale ne peut se penser sans les habitants, qui sont les « maîtres d’usage ». La prise en compte de leurs pratiques est essentielle, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être modifiées. La participation et le partage sont indispensables pour créer une complicité, mais elles ne suffisent pas. Pour que les pratiques puissent changer, la collectivité doit proposer une offre crédible. Les villes scandinaves ont montré qu’il était possible de tisser, dans la durée, de fortes complicités entre les choix frugaux proposés par la municipalité et les pratiques frugales adoptées par les habitants.

 

 

La ville, territoire géographique, se conçoit donc également comme un ensemble d'interactions qui lui donnent son identité. La dimension "participative" se traduit alors par des échanges accrus entre les acteurs de l'écosystème. L'entreprise, fortement impliquée localement, peut aussi jouer un rôle d'accélérateur des initiatives sociales.

Sur le terrain

« En tant que grand groupe, nous avons une responsabilité accrue : partager nos compétences, transmettre nos connaissances là où nous sommes implantés. » 

 

Jean-Philippe LACHARME : « Notre mission est de faciliter les relations entre les sites de Saint-Gobain et leur écosystème dans les territoires. Notre fonctionnement repose sur 3 délégations régionales. Depuis 1982, nous accompagnons les personnes victimes de plans de restructuration et les aidons à retrouver un emploi. Nous signons des conventions de revitalisation, par lesquelles nous nous engageons à recréer des emplois, notamment grâce à l’octroi de prêts à des taux bonifiés à des PME qui souhaitent en créer dans le bassin concerné. Nous fournissons de l'expertise et de l'appui en compétences pour les aider à se doter des moyens qui leur manquent. Cela nous a conduits à développer un socle de savoir faire mobilisable hors restructurations, qui nous permet de participer au dynamisme de ces bassins d’emploi. En particulier, nous travaillons beaucoup avec des associations. »

 

 


 

Louisa MARECHAL-FABRE : « De nouveaux sujets de préoccupations sociales ont émergé. La demande d'engagement de nos collaborateurs s’accroit, alors même que les associations locales ont besoin d'être accompagnées. Notre rôle est de les faire se rencontrer, car le partage de connaissances se fait par la rencontre. Les multiples sites de Saint-Gobain ont déjà développé ce type d'initiatives. Notre rôle est de les mettre en lien avec des associations dont les actions sont en adéquation avec les valeurs du Groupe. Ainsi, la Fondation C’Génial permet de faire découvrir le monde industriel à des jeunes collégiens et lycéens, afin qu’ils puissent imaginer les métiers et les débouchés. Des collaborateurs de Saint-Gobain interviennent régulièrement dans les collèges partenaires et des professeurs visitent nos sites industriels. L'idée, c'est de casser les murs pour permettre aux gens d'aller à la rencontre des autres. Nous pouvons citer l’association Capital Filles, qui permet le parrainage des jeunes filles de quartiers prioritaires, avec qui nous avons développé des actions dans le cadre des réseaux WIN (Women In Network), un réseau de collaborateurs et collaboratrices de Saint-Gobain, dont le rôle est de faire vivre l'égalité femmes-hommes. »

 

Jean-Philippe LACHARME : « Nous considérons qu’il est de notre responsabilité de participer à la vie des bassins d’emploi où nos sites sont implantés, mais c’est aussi dans l’intérêt de ceux-ci : je crois profondément qu'on peut faire du gagnant-gagnant, que si chacun donne un petit peu de son temps, de son énergie, de sa compétence, cela profite à tout le monde. Et cela va plus loin : permettre à nos salariés de s’engager contribue à leur épanouissement et répond à la question du sens, qui devient essentielle lorsque l’on choisit une entreprise dans laquelle travailler. »  


 

 

Louisa MARECHAL-FABRE : « L’action sociétale de Saint-Gobain Développement s’appuie sur la conviction que l’entreprise fait partie d’un écosystème qu’il faut écouter, pour participer positivement. Nos métiers sont très locaux, très connectés avec les parties prenantes, ce qui nous permet aussi d’évoluer en fonction des besoins de l'écosystème. »
 

Le partage, cette notion essentielle de la ville de demain, doit aussi se construire localement, par et pour tous les usagers. Mais comment cette ville « participative »  du futur peut-elle se concevoir avec ses habitants ?

Et demain ?

« Le milieu urbain offre une plus grande souplesse pour imaginer de nouvelles solutions pour les habitants. »

 

Quand avez-vous commencé à réfléchir aux villes de demain ?  

J’ai travaillé au sein du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD, principalement avec les administrations centrales. Mais je me suis vite rendue compte que travailler à l’échelle régionale et urbaine offrait une plus grande souplesse et était propice à la création et à l’expérimentation de nouvelles solutions de conception plus ancrées dans la ville. J’ai donc décidé de retourner dans ma ville natale, à Konin, une ville post-industrielle en Pologne. Confrontés à des problèmes climatiques et économiques importants, les habitants commençaient à s’inquiéter de l’évolution que prenait la ville. J’ai donc décidé de réfléchir, avec les communautés locales, à ce que pourrait être la ville demain. 

 

Comment avez-vous impliqué les habitants dans le processus ?

J’ai commencé à utiliser l’outil de prévision Foresight, (via une méthodologie open source que nous avons mise au point) pour créer des scénarios sur l’avenir de la ville. Nous souhaitions nous assurer que les experts n’étaient pas simplement des « experts data », mais que la communauté locale était impliquée à chaque étape. Nous avons formé un groupe de 12 résidents locaux de différents horizons, de l’administration publique à l’enseignement, en passant par le sport, la culture et l’économie. Nous avons ensuite fait participer notre communauté à des échanges ciblés, comme les étudiants ou les enfants des écoles primaires, pour qu’ils évoquent leurs besoins. Au début, les habitants étaient peu disposés à parler. Mais, avec le temps, et grâce aux experts locaux, ils ont commencé à nous faire confiance et sont devenus des ambassadeurs du processus. En parallèle, nous avons continué à recueillir des informations sur les tendances les plus applicables à notre contexte local. Ce processus a pris un an et demi et nous a permis d’obtenir une prévision exacte, un rapport incluant des statistiques fiables et des modèles de données ainsi qu’un engagement social.
 

En quoi le bien-être des personnes peut-il participer au réaménagement de nos villes ?

En lisant notre rapport, des responsables de l’administration publique ont voulu appliquer notre méthodologie à d’autres thèmes au sein de leurs villes. Si certaines grandes tendances sont identiques à travers le monde, comme le changement climatique, la crise dans le secteur de la santé mentale et l’utilisation des technologies, leur interprétation varie selon les villes. Nous devons donc repenser nos villes en tenant compte des besoins de leurs habitants. Nous devons également transformer l’urbanisme pour que chaque citoyen puisse respecter davantage l’environnement de façon simple et intuitive. C’est un moyen concret de modifier le comportement de la population, plus efficace que les campagnes d’information. L’objectif est aussi de rendre les vies des habitants moins stressantes, plus agréables. De nombreuses recherches ont déjà prouvé que la façon dont nous concevons nos villes a un impact direct sur notre santé mentale et notre bien-être : la ville est-elle conçue de manière à offrir des lieux de socialisation entre les indvidus, pour être en contact avec la nature sans faire 20 kilomètres en voiture, se sentir en sécurité, dormir dans des conditions optimales avec une ville qui n’est pas éclairée en permanence, créer de plus petites communautés autour de chez soi ? Aujourd’hui, les individus se déplacent facilement et librement et prennent leurs propres décisions quant à l’endroit où ils souhaitent vivre. Les administrations publiques sont conscientes que le bien-être est devenu un critère pour attirer les populations. Cela permet d’avoir une plus grande marge de manœuvre pour négocier la façon dont nous voulons voir le quartier ou la ville évoluer. »

 

Nous l’avons vu, l’avenir de la ville repose sur davantage de frugalité et de partage des ressources à l’échelle locale. Grâce à certains précurseurs, cette transformation a déjà commencé, notamment avec des initiatives comme la Ruche Qui Dit Oui!

Ils l'ont fait

« Avec la Ruche qui dit Oui !, le numérique a été un accélérateur des circuits courts dans plusieurs pays d’Europe. »

 

Quel constat a été à l’origine du lancement de la Ruche qui dit Oui ! en France ? 

En 2011, la Ruche est née de l’envie d’accélérer, grâce au numérique, la création de circuits courts entre des consommateurs qui voulaient une alimentation de qualité et des producteurs qui avaient besoin d’être rémunérés plus justement. La Ruche est une véritable alternative à la grande distribution : vous commandez en ligne et venez chercher votre commande à côté de chez vous. Les producteurs fixent leur prix de vente et en touchent 80 %. 

 

Comment la Ruche contribue-t-elle au développement d’une nouvelle économie du partage ? 

Il existe aujourd'hui 750 ruches en France et 1 500 Ruches en Europe avec 250 000 membres actifs et 10 000 producteurs. Chacune offre un lieu de partage au sein d’une vraie communauté : chaque semaine, on rencontre les producteurs, on se retrouve entre voisins, on se rend des services, des activités sont organisées spontanément. C’est un vecteur de lien social. Et ce n’est pas que dans les grandes villes, les Ruches s’adressent à tout le monde : il y a aussi des Ruches de campagne, avec un maillage du territoire très large. 


 

Comment avez-vous bâti ce modèle collaboratif ?

La première Ruche est née en 2011 au Fauga, une petite ville près de Toulouse. Elle existe encore et a toujours lieu dans le jardin d’Odile, la Responsable de Ruche. Pour construire une Ruche, il faut être motivé, recruter des producteurs (ou piocher dans notre liste, qui en compte déjà 5 000) et convaincre des consommateurs. 30 commandes sont suffisantes pour ouvrir une Ruche. Chaque Responsable de Ruche se rend chez le producteur pour le rencontrer et s’assurer qu’il répond bien à notre Charte (des produits en agriculture raisonnée ou bio, pas d’agriculture intensive, du local) et ces standards sont vérifiés par nos équipes.


 

Après la création de Ruches ailleurs en Europe, quelles sont les prochaines étapes? 

Depuis 2014, nous sommes présents dans 5 pays d’Europe. Notre modèle fonctionne particulièrement bien dans les pays qui ont une culture locale forte liée à l’alimentation (Espagne, Italie) ou une préoccupation écologique, comme l’Allemagne. En France, nous venons de lancer le marché-Ruche, qui allie pour la première fois précommande en ligne et vente sur place, directement auprès des producteurs. La première édition vient de se tenir à Flourens près de Toulouse. 


 

 

La ville partagée se construit grâce à un lien social - et un rapport à l’environnement - réinventés. Dans ce domaine, les jardins communautaires font office de « laboratoires » pour la ville en transition.

En images

Né en 2012 au cœur de Mexico, sur un terrain abandonné depuis 27 ans, Huerto Roma Verde est un projet autogéré à but non lucratif. Cette communauté a entrepris de régénérer cet espace, afin de mener des activités et des projets socio-environnementaux participatifs profitant à l’environnement et au bien-être de tous.
 

 


 

 

 

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