Blockchain :
alliée potentielle d’une construction durable ?

La blockchain devient un sujet récurrent. Or, cette technologie n’est ni évidente à comprendre, ni facile à mettre en œuvre. Généralement associée aux crypto-monnaies, elle s’avère désormais prometteuse pour de nombreuses filières, dont le bâtiment. Mais est-ce vraiment le cas ? Décryptage. 

poignee de main blockchain

Bâtir une confiance décentralisée dans le bâtiment 

La blockchain s’apparente à un grand livre numérique régi par un ensemble de règles et de conditions qui le rendent sûr, immuable, infalsifiable et donc fiable. 

Laurent Francez - Responsable de l’innovation numérique chez Saint-Gobain 

 

Pour comprendre la technologie de la blockchain, il faut remonter à la crise des subprimes*, en 2007. Suite à l’effondrement du marché immobilier aux États-Unis, des milliers de foyers américains, ruinés, se sont retrouvés dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts. Inévitablement, par effet domino, de nombreuses institutions financières ont fait faillite, provoquant l’effondrement des marchés boursiers mondiaux.

Cette crise a brutalement mis en lumière le lien d’interdépendance entre les banques et leurs prises de risques, soulevant une question cruciale : à l’avenir, comment effectuer des transactions sans dépendre d’un organisme financier centralisé ? Pour y répondre, Satoshi Nakamoto (pseudonyme initialement attribué à un particulier, mais qui cacherait en fait un groupe d’activistes - ndlr) a inventé une technologie : le protocole blockchain. Ce dernier lui a permis de lancer, en 2009, la première crypto-monnaie du monde : le bitcoin, dont nous avons tous déjà entendu parler. Cette monnaie numérique, virtuelle, permet de transférer des fonds, en s’affranchissant du système bancaire classique. 

Blockchain : mode d’emploi 

Mais concrètement, comment ça marche ? En général, pour effectuer une transaction, nous contactons un tiers de confiance (banque, avocat, etc.) qui centralise l’ensemble des opérations. Avec la blockchain, le processus est entièrement décentralisé. Cette technologie s’appuie sur un réseau décentralisé d’ordinateurs (appelés « nœuds »). En clair, lorsqu’une transaction est effectuée en ligne, elle est transmise pour validation aux ordinateurs du réseau. Une fois authentifiée par la majorité d’entre eux, la transaction est enregistrée sur un « bloc » qui est ensuite ajouté à la « chaîne », d’où le terme de « blockchain ». Le secret de ces blocs ? Tous ont un identifiant unique et crypté… Et mieux encore, chacun contient le cryptogramme du bloc précédent ! Ainsi, les blocs qui composent cette immense chaîne restent indissociables : ils sont inextricablement liés entre eux, à tout moment. Il est impossible d’en modifier le contenu ou de pirater la chaîne, car il faudrait pour cela pirater simultanément tous les ordinateurs connectés au réseau. 

Sécurisée, immuable et infalsifiable 

« Pour être très schématique, la blockchain s’apparente à un immense livre comptable virtuel, totalement sécurisé, immuable, infalsifiable et donc parfaitement fiable », explique Laurent Francez, Responsable de l’innovation numérique chez Saint-Gobain. « Toutes ces caractéristiques découlent d’une architecture décentralisée, associée à des mécanismes de gouvernance précis (consensus, « smart contracts » ou contrats intelligents…) et à des fonctionnalités clés telles que les algorithmes cryptographiques. » 

C’est grâce à dans cette combinaison unique de facteurs que la blockchain parvient à assurer un tel niveau de sécurité, de transparence et de fiabilité aux données qui y sont stockées. « Par conséquent, il s’agit d’une technologie complexe, qui exige des compétences très précises. De plus, son coût d’exploitation peut être très élevé. Il faut donc étudier de près la pertinence de cet investissement par rapport à la valeur que l’on souhaite en retirer. » 

Potentiel juridique de la blockchain 

Longtemps associée aux transactions financières, la blockchain trouve peu à peu de nouvelles applications et attire l’attention de nombreux secteurs d’activité. Ainsi, la filière alimentaire y voit un potentiel inédit pour assurer la traçabilité des produits. Le bâtiment s’y intéresse également, pour sécuriser les transactions de transfert de propriété. D’ailleurs, les autorités ghanéennes travaillent déjà sur un projet de registre foncier axé sur la blockchain, pour enregistrer les titres de propriété immobilière et en assurer l’authenticité. 

Blockchain camion

Blockchain, BIM et contrats automatisés 

Dans le secteur du bâtiment, la blockchain ouvre de nouveaux horizons pour gagner en productivité et en qualité. Prenons l’exemple de la maquette numérique, ou BIM, qui s’appuie sur des données partagées et collaboratives. Saint-Gobain s’est récemment associé à la start-up Ipocamp pour lancer une initiative dans ce sens. Objectif : protéger ce qui lui appartient, au sein des fichiers BIM. « En cas de litige, l’authentification basée sur la blockchain permettra facilement de prouver que nos objets BIM proviennent bien de nous et qu’ils nous appartiennent », précise Laurent Francez. « C’est donc une garantie supplémentaire de sécurité, d’intégrité et de traçabilité pour nos données. » 

 

A LIRE AUSSI :  La construction se numérise et devient durable 

 

Autre potentiel de la blockchain : la gestion de projets complexes. Par essence, la filière du bâtiment mobilise de nombreuses professions, aux compétences très variées. Cette multiplication des interlocuteurs rend toute communication complexe, au point qu’il est parfois difficile d’échanger des informations. Or, la blockchain pourrait faciliter l’automatisation de processus (appels d’offres, passation de marchés, permis de construire…), tout en regroupant systématiquement toutes les données importantes dans un seul « livre », fiable et impossible à corrompre. 

Cette technologie pourrait faciliter les interactions avec toutes les parties prenantes, notamment à travers l’exécution de contrats intelligents, ou smart contracts. Prenons un exemple. AXA Assurance a récemment lancé un contrat qui rembourse ses assurés dès qu’un vol aérien est retardé de plus de deux heures. Nul besoin de lancer des formalités administratives : dès que la blockchain est informée du retard, le remboursement est lancé immédiatement. « Dans le bâtiment, ce type de contrat permettrait d’automatiser et d’accélérer la facturation des fournisseurs et des sous-traitants », poursuit Laurent Francez. « Ce serait également une solution plus durable grâce aux économies de papier engendrées. » 

Un passeport pour chaque matériau : bientôt une réalité ? 

Enfin, la blockchain pourrait jouer un rôle crucial dans la construction bas carbone. En améliorant la traçabilité des matériaux auprès des fabricants, elle répondrait à bon nombre de défis posés par l’économie circulaire. Concrètement, ce protocole infalsifiable permet désormais de créer un passeport pour chaque matériau, répertoriant toutes les informations pertinentes : date et lieu de fabrication, caractéristiques physiques, etc. Grâce à cette empreinte digitale unique, les promoteurs pourront identifier l’origine des matières premières et sélectionner les produits ayant le plus faible impact sur l’environnement. 

Source d’inspiration pour l’économie circulaire 

Suez, géant des services de distribution d’eau et d’assainissement, a d’ores et déjà adopté cette technologie en créant sa propre blockchain. Circular Chain, c’est son nom, assure la traçabilité des boues d’épuration en vue de leur valorisation agricole. De même, le spécialiste de l’environnement Trace s’est allié à IBM Consulting pour développer CYCLop à partir d’un protocole de blockchain privé. Cette solution vise à réunir tous les acteurs de la filière autour d’une plateforme centralisée, afin d’optimiser la gestion des risques liés aux déchets. L’une de ses premières applications consiste à assurer la traçabilité des terres excavées, des sédiments et des produits de la démolition, à chaque maillon de la chaîne de valorisation et de gestion. 

Une nouvelle page à écrire 

Sécurité des données, transparence des informations ou encore traçabilité des matériaux : la blockchain s’avère prometteuse. Or, son application reste marginale dans la filière. Pourquoi ? 

Sa mise en œuvre reste complexe, et son déploiement exige une expertise digitale spécifique, encore assez rare sur le marché. De plus, l’appartenance des données stockées dans une blockchain n’est pas toujours clairement établie, surtout si ce protocole est fourni par un prestataire externe. Enfin, la mise en place d’une blockchain s’avère onéreuse, ce qui incite bon nombre d’entreprises à privilégier d’autres solutions. 

La bonne nouvelle, c’est que cette technologie évolue énormément, et à vitesse grand V. De nouvelles générations de blockchains verront le jour, et il y a fort à parier qu’elles sauront résoudre ces problèmes et gagner en rentabilité. Une chose est sûre : la blockchain n’a pas fini de faire parler d’elle. 

 

*La crise des subprimes, en 2007 aux États-Unis, est due à l’incapacité des emprunteurs à rembourser des prêts immobiliers à haut risque, provoquant une crise financière à l’échelle mondiale. 

 

Crédits photos : ©Shutterstock/Gorodenkoff ; ©Shutterstock/Gorloff-kv ; ©Shutterstock/LuckyStep