Comment la mixité fait évoluer l’usine

Travailler dans une usine, est-ce vraiment un métier d’homme ? De moins en moins. Et c’est une très bonne nouvelle car la mixité sur les sites de production bénéficie à tous : innovation, conditions de travail et productivité sont au rendez-vous. Pour des lignes de production plus attractives aujourd’hui… et surtout demain !

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Encourager une usine plus mixte
Avec une vraie mixité, on profite d’une amélioration continue.

Selon The Manufacturing Institute, think tank américain dédié à la modernisation de l’industrie, si les femmes comptent pour la moitié de la main-d’œuvre totale dans le monde, elles représentent moins d’un travailleur sur trois dans le secteur industriel. En cause ? Une mauvaise image de l’industrie. Et ce, partout dans le monde. « Je rencontre les mêmes biais culturels en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique, explique Silham El Kasmi, Directrice des opérations EMEA chez Saint-Gobain Abrasifs. J’entends les mêmes types de commentaires dans tous les pays : "ce n’est pas un boulot pour une femme" ou "c’est trop contraignant" ou "c’est salissant". »

 

Plus de mixité, c’est plus d’efficacité

Pourtant, « les femmes peuvent avoir un impact considérable sur tous les aspects et tous les domaines de la production », affirme Silham El Kasmi. Et de rappeler que sur des sites de production, des femmes ont pu contribuer à développer des technologies qui ont permis de réduire les coûts, d’ouvrir la voie à l'adoption de l'industrie 4.0, d’encadrer de jeunes talents ou encore de mettre en œuvre des politiques de diversité, d'équité, d’égalité et d'inclusion.

Un exemple dans une usine de Saint-Gobain. Une machine de production présentait des problèmes techniques, alors la direction a mis en place un groupe de travail d’amélioration mixte composé de techniciens et techniciennes dans lequel chacun et chacun a apporté sa vision du travail. Pourquoi mixte ? « Parce qu’on s’est rendu compte qu’avec la diversité des regards, des expériences, on gagnait en patience et en résilience », se souvient Silham El Kasmi. Des « savoir-être » particulièrement utiles pour résoudre des problèmes ardus comme c’était le cas ici. Le résultat de ce groupe de travail ? Une amélioration notable a été apportée au niveau de l’ergonomie ainsi que sur l’automatisation grâce à la définition d’un cahier des charges plus complet. Avec pour conséquence très concrète une productivité en augmentation de 7 %.

 

Diversification des regards, créativité augmentée

La mixité comme accélérateur d’efficacité dans les usines ? Un constat que corroborent les résultats d’une étude menée par le cabinet de conseil Deloitte, portant sur 600 femmes et 20 cadres dans le secteur industriel.

Une femme cadre interviewée dans cette étude explique pourquoi la mixité accélère l’efficacité : « Quand il y a des femmes à la direction d’une usine, d’autres façons de penser la stratégie apparaissent ; les différents pôles peuvent identifier les problèmes plus rapidement et trouver des solutions innovantes. Plus précisément, une main-d’œuvre diversifiée favorise des interactions plus dynamiques et réduit les biais cognitifs. »

« En effet, dans les usines, quand des personnes aux parcours différents collaborent, on obtient une véritable diversification des regards, des postures, complète Silham El Kasmi. Tout le monde se challenge. Je le vois dans les groupes de travail : plus d’idées, avec des angles différents, sont échangées, on profite de beaucoup plus de créativité. Dans un article proposé par mobility-work.com sur « Les femmes et la maintenance industrielle », une employée du groupe d’ingénierie suédois Sandvik affirme que « cela permet un échange sur les façons de penser, de créer et de procéder qui sont complémentaires ».
 

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Du savoir-être et un meilleur « vivre ensemble »

Si les résultats financiers et la capacité d’innovation sont des points cruciaux, la mixité dans les usines améliore aussi la qualité de vie au travail, induit une remise en question générale et enrichit les échanges. Pour tout le monde, femmes et hommes confondus. D’ailleurs, en 2016, l’association française Elles bougent dévoilait, avec l'institut de sondage CSA, les enseignements de son enquête « Les femmes, l'industrie, la technologie et l’innovation »**. Résultat : pour 91 % des répondantes, la mixité femmes-hommes est une bonne chose pour l’ambiance de travail, mais aussi pour l’image et l’attractivité de l’entreprise (89 %) et les modes de management (87 %).

 Un enseignement en phase avec l’expérience de terrain de Silham El Kasmi. « Chacun est obligé de faire plus attention aux autres et d’être plus respectueux », confirme-t-elle. L’impact sur l'environnement de travail est forcément positif. » Et d’évoquer un site de production sur lequel le taux d’absentéisme était préoccupant, notamment à cause de tensions installées au sein d’une équipe présente depuis longtemps. Pour résoudre la situation, la direction a alors imaginé une unité d’amélioration mixte afin de comprendre les enjeux et faire évoluer les conditions de travail. Conséquence très concrète de ces échanges, une analyse de pénibilité a été déclenchée et permis la mise en place d’un cobot, un robot qui permet de faciliter le travail manuel des opérateurs. Désormais, le taux d’absentéisme est passé de 10 à 4 %.

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Entreprise diversifiée, compétitivité améliorée

Au-delà d’une ambiance de travail plus sereine, d’une créativité et d’une capacité d’innovation augmentées, de procédés repensés, ce que démontre Amanda Weinstein, collaboratrice de la Harvard Business Review et professeure adjointe au département d'économie du College of Business Administration de l'université d'Akron (aux Etats-Unis, dans l’Ohio), à travers ses recherches, c’est que pour chaque augmentation de 10 % du nombre de femmes travaillant dans le secteur industriel, l'impact économique global augmente d'au moins 5 %. Un constat corroboré par le Manufacturing Institute, qui note très clairement que « les entreprises diversifiées sont plus compétitives que celles qui ne le sont pas ». Le cabinet de conseil Deloitte évoque, lui, un « meilleur rendement des capitaux propres et une rentabilité accrue grâce à la diversité des sexes dans un environnement industriel. » N’en jetez plus.

 

Démystifier l’image de l’industrie

Mais alors, comment l’obtenir, cette mixité dans les usines ? Pour Silham El Kasmi, cela passe par une démystification de l’image du secteur de l’industrie. « Dès que je peux, je passe du temps dans les écoles d’ingénieurs et les lycées. Les filles ne sont pas au courant de tous les métiers qu’elles peuvent y exercer. Il faut rendre ce secteur plus accessible sur tous les continents », assure-t-elle. Car même si certains métiers restent difficilement accessibles aux femmes pour des raisons physiques, la technologie permet aujourd’hui de diminuer la pénibilité dans les usines, aussi bien au niveau du travail répétitif que des charges lourdes. De plus en plus, les métiers liés à la production se tournent davantage vers la supervision de plusieurs machines à la fois – quand autrefois un travailleur utilisait une seule machine.

 

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Alors, on l’espère, les politiques d’inclusion menées aujourd’hui sur les sites de production aux quatre coins du monde permettront, demain, aux usines d’être parfaitement mixtes (ou presque). Une mixité qui devrait permettre de préparer au mieux les conditions de travail des générations à venir, quel que soit leur genre… De nouvelles générations qui opéreront, notamment grâce aux bénéfices de cette mixité accrue, sur des lignes de production plus innovantes, plus « humaines », avec des pénibilités toujours plus réduites… Une amélioration continue pour tous, en somme. Et une vraie boucle vertueuse qu’il convient d’enclencher dès maintenant. Car le secteur industriel devrait créer 3,5 millions d’emplois jusqu’en 2025*, parmi lesquels 2 millions pourraient rester vacants, faute de candidats…

Un signe de plus qu’il est temps d’accélérer la mixité sur les sites de production.

 

* Selon Deloitte et The Manufacturing Institute

** Enquête réalisée auprès de 1000 femmes ingénieures, 500 étudiantes en filière scientifique et technologique et 500 collégien-ne-s, lycéen-ne-se en France

 

Crédits photos Gorodenkoff/Shutterstock et Party people studio/Shutterstock

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