Enjeux et opportunités de la construction durable dans les pays du Sud
L’expansion urbaine dans le « Sud global » devrait connaître un essor fulgurant, rendant vitale l’adoption généralisée de la construction durable. Et même si ce choix peut être entravé par une application peu rigoureuse des normes de construction ou des mentalités qui doivent encore évoluer, les attitudes, pratiques et méthodes sont en train de changer.

Construire une conscience durable
Nous vivons sur une planète qui ne cesse de s’urbaniser. Les villes du monde entier s’agrandissent, et ce phénomène est particulièrement visible dans les pays du Sud global. ONU-Habitat estime que la superficie des villes augmentera de 34 % par rapport aux niveaux de 2020 dans les pays à revenu élevé, alors que dans les pays à faible revenu, on atteindra les 141 %. Par conséquent, de nombreuses constructions voient et verront le jour dans les régions du Sud. Il faudra loger beaucoup plus de personnes et créer des bureaux et des sièges sociaux pour les entreprises. Mais comme nous le savons, l’industrie de la construction et l’entretien des bâtiments participent largement aux émissions de gaz à effet de serre. Le secteur du bâtiment a contribué à 39 % des émissions de CO2, liées à la consommation d’énergie et aux processus en 2018. Rendre les constructions dans le Sud aussi durables que possible pour réduire les émissions de carbone doit donc devenir une priorité.
Construction durable : les consciences s’éveillent dans le Sud
La construction durable se définit comme « un processus holistique visant à restaurer et à maintenir l’harmonie entre l’environnement naturel et le bâti, et à créer des installations qui font valoir la dignité humaine et encouragent l’équité économique ». C’est ce que prévoit l’Agenda 21 pour la construction durable dans les pays en développement. Il s’agit non seulement de réduire l’empreinte carbone du secteur, mais aussi de mettre en œuvre et d’utiliser des principes de conception, des techniques de construction et des matériaux qui éviteront de nuire au développement durable dans le futur.
Heureusement, la construction durable suscite un intérêt grandissant et se pratique crescendo. Dario Ibargüengoitia, président fondateur de Sustentabilidad para México, est d’avis que, même si la société latino-américaine n’a pas encore totalement intégré la notion de décarbonisation, la tendance est à la construction d’espaces économes en énergie, plus sains, bien ventilés et offrant un bon confort thermique. Selon lui, c’est le cas en Amérique centrale et du Sud, et surtout dans les grandes villes comme São Paulo, Buenos Aires et Mexico.
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Enjeux spécifiques et opportunités locales
Les matériaux de construction durables devraient idéalement être sourcés localement, afin de réduire les distances aériennes ou routières nécessaires à leur transport vers le site de construction. C’est le cas en Thaïlande, comme l’explique Bundit Pradabsook, commissaire de l’Association des architectes siamois sous patronage royal. Selon lui, l’utilisation de matériaux de cloison sèche comme le gypse dans les immeubles de grande hauteur est avantageuse pour diverses raisons. D’abord, elle permet aux occupants d’économiser jusqu’à 27 % sur leur facture de climatisation. En outre, le matériau est disponible localement, ce qui permet de limiter le nombre de kilomètres à parcourir pour l’acheminer vers le site. Il ajoute : « Si l’on compare au mètre carré, le coût du transport des cloisons sèches est plus faible, car elles sont six fois plus légères que les murs en béton préfabriqué. »
Dans le Cône Sud de l’Amérique latine, des matériaux locaux et traditionnels sont également utilisés dans la construction, modifiant quelque peu la forme et la conception des projets. Au lieu de recourir aux blocs de béton, dont la fabrication est gourmande en eau et requiert du ciment à forte empreinte carbone, on a réussi à inciter les gens à utiliser de l’adobe ou de la terre compactée. L’inconvénient de ce matériau est qu’il nécessite un entretien fréquent, non adapté aux projets de construction verticale et à usage commercial. Ce matériau convient mieux aux bâtiments à un seul étage, essentiellement les maisons et les logements, car les murs épais créés par l’adobe sont par nature économes en énergie.
Mlondolozi Hempe, spécialiste sud-africain de la performance des bâtiments, a également remarqué que les matériaux légers et durables comme le bois sont de plus en plus utilisés. Pour autant, il reconnaît qu’un changement de mentalité est nécessaire pour que la construction durable soit pleinement acceptée et appliquée. Il précise : « La principale difficulté pour que la transition ait lieu réside surtout dans le fait que les gens sont habitués à acheter un certain produit. Ils ont l’habitude de gagner de l’argent d’une certaine manière ». Néanmoins, la construction écologique bénéficie d’un soutien croissant, avec des guides officiels et des informations provenant de sources telles que le manuel de construction intelligente de la ville du Cap. Dans le même esprit, le manuel Reconstruction 101 : stratégies de reconstruction pour Haïti a été publié après le terrible tremblement de terre de 2010, prodiguant des conseils sur les méthodes de construction dans les zones exposées aux séismes et aux ouragans. Dans une optique plus générale, le Guide architectural de l’Afrique subsaharienne présente 850 bâtiments à travers le continent, fournissant des idées et des solutions aux problèmes de construction.
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Réduire les émissions de carbone… et les factures d’énergie
Pour diverses raisons, les pays du Sud ne disposent pas d’autant de ressources financières que ceux du Nord. Ce qui limite leur budget disponible pour investir dans des matériaux plus respectueux de l’environnement et des mécanismes passifs qui permettraient de réduire les émissions de carbone générées par le projet de construction ou même le terrain sur lequel ce projet est bâti. En effet, de telles solutions peuvent être coûteuses à l’achat ou à l’installation. Néanmoins, les matériaux durables gagnent du terrain et M. Hempe note que les gens commencent à bâtir leurs propres logement en utilisant des structures légères.
Selon M. Ibargüengoitia, dans les endroits où les matériaux de construction non durables, comme le bois exploité illégalement, sont moins chers ou plus faciles à obtenir que les matériaux durables, il est souvent difficile d’inciter les populations à opter pour l’option la plus écologique. Toutefois, une solution à ce problème existe avec des démarches telles que les déclarations environnementales de produits (EPD) et l’initiative pour des obligations climatiques (CBI). Les EPD sont des documents basés sur des données générées par des analyses du cycle de vie (ACV) et constituent une marque d’approbation démontrant l’engagement d’un fabricant à réduire l’impact environnemental de ses produits et services. De plus en plus d’investisseurs et de promoteurs recherchent des produits portant ce label. Les CBI offrent un financement pour les projets durables et d’après M. Ibargüengoitia, cette initiative encourage et soutient l’économie verte dans toute l’Amérique latine.
Dans la mesure du possible, les bureaux et les logements du Sud global doivent être équipés d’éléments de construction permettant de réduire les émissions de carbone liées à leur fonctionnement, même si les coûts de ces travaux doivent être supportés par une organisation caritative ou une ONG. Lorsque les autorités de la ville du Cap, en Afrique du Sud, ont modernisé 2 300 maisons en les équipant de chauffe-eaux solaires et en isolant les toits, le niveau de pauvreté des occupants a diminué, grâce à la baisse de leurs factures de chauffage. En outre, leur santé respiratoire s'est améliorée grâce à l'isolation et l'économie locale a été stimulée et l’économie locale a bénéficié d’un coup de pouce, grâce aux formations que les résidents ont reçues sur le terrain.

Collaboration Sud-Sud
Les solutions de construction durable développées dans les pays du Sud sont souvent partagées avec les nations voisines, car elles sont confrontées à des problèmes similaires. M. Ibargüengoitia indique que certaines innovations technologiques écoresponsables conçues en Colombie sont partagées avec le Brésil, les deux pays de la région disposant de programmes de logements sociaux qui intègrent des principes de construction verte. Il a vu le même phénomène se produire entre les pays africains et les nations asiatiques, mais a malheureusement constaté un manque de collaboration intercontinentale entre les pays du Sud global. Toutefois, il convient de noter que l’Inde fait preuve d’une grande générosité quant au partage de ses innovations en matière de construction. « L’Inde est merveilleuse, se réjouit M. Ibargüengoitia. Ce qui diffère, c’est la réglementation, mais elle entreprend des actions étonnantes et elle est très généreuse dans le partage de ses réalisations. »
En outre, avec la mondialisation, les idées du Nord atteignent très rapidement le Sud. Il en résulte une innovation inspirée et même une réinterprétation de solutions technologiques grâce à des ressources locales.
Un bon exemple de coopération Sud-Sud et Sud-Nord concerne l’impression 3D, une méthode de construction qui peut se révéler beaucoup plus durable que la construction traditionnelle. Tvasta est une jeune entreprise créée à Madras, en Inde, qui conçoit des technologies d’impression 3D béton. Elle se félicite de combiner une approche futuriste avec la culture traditionnelle de « l’Ancien Monde ». Et au début de l’année 2022, Tvasta a même conclu un accord de collaboration stratégique nationale avec Indian Cements afin d’élaborer une formule de ciment écologique. L’année précédente, elle avait établi une collaboration internationale avec Saint-Gobain.
La formation : un facteur essentiel
Il faut donc investir davantage dans la formation et le perfectionnement des populations du Sud afin que les différents acteurs des projets soient mieux sensibilisés à la nécessité d'une construction durable et des méthodes permettant de la mettre en œuvre. Le manuel de construction intelligente du Cap rappelle d’ailleurs l’importance d’impliquer toutes les parties prenantes d’un projet : chefs de projet, ingénieurs, architectes, ouvriers de la démolition et de la construction, sous-traitants… L’objectif : que chacun ait bien en tête les principes de la durabilité environnementale et de la construction écologique.
Le niveau de l’enseignement technique entre le Nord et le Sud n’est certes pas encore le même, le Sud comptant beaucoup moins d’architectes et d’ingénieurs en bâtiment. Mais ce problème est pris en compte par des organismes tels que le Centre de formation en architecture durable en Argentine. Et certaines institutions du « Sud global » proposent précisément ce type d’enseignement, comme le Centre de formation aux métiers du Développement durable, près de Marrakech, au Maroc. Ce lieu se veut un espace de diffusion des méthodes de conception durable, tant sur le plan conceptuel que physique. Construit lui-même en terre et en bois, il a pour objectif de faciliter l’union entre le savoir-faire traditionnel et les technologies modernes, jusqu’aux mécanismes de conception passive. Quant au réseau ELLA, basé au Pérou, il dispose, lui, d’une communauté d’apprentissage consacrée aux meilleures pratiques et méthodologies pour la création de villes capables de résister au changement climatique.
La construction durable dans les pays du « Sud global » n’est pas une idée nouvelle : le gratte-ciel économe en énergie TM Tower de Kuala Lumpur, en Malaisie, ayant été achevé dès 1998. Mais des ressources financières limitées et des lois d’urbanisme contraignantes freinent encore la montée en puissance de la construction durable dans ces pays où l’on perçoit malgré tout une forte volonté de multiplier les concepts écologiques et les projets qui en découlent. Et un besoin encore plus grand.