Rénovation : pourquoi les aides financières ne suffisent pas

Pour inciter à rénover davantage de logements et améliorer ainsi leur confort et leur efficacité énergétique, nombreux sont les pays qui proposent aux particuliers une aide financière conséquente. Sans réellement provoquer de ruée vers les demandes. Mais pourquoi donc ? Parce qu'il ne s’agit pas uniquement d'une question de moyens. Regard sur des freins parfois davantage psychologiques qu'économiques.

Et si c’était notre perception du changement ?

Face à l'urgence environnementale, les États, partout dans le monde, élaborent des plans de relance assortis de dispositifs financiers incitatifs pour encourager les populations à rénover leurs domiciles – dont beaucoup sont de véritables passoires thermiques. Ainsi, en Europe, le Green Deal promet 1000 milliards d’euros sur 10 ans dédiés à la transition vers la neutralité climatique, dont une partie est consacrée à la rénovation. En France, un plan de relance écologique promeut différents dispositifs et crédits d'impôts accessibles à tous ceux qui souhaiteraient rendre leur logement plus durable. Idem en Italie, avec le Super Eco Bonus. Aux États-Unis également, tout indique que le nouveau président, Joe Biden, prépare un pacte vert sur le même modèle (voire plus ambitieux), que l'européen. Pourtant, si l’incitation financière est essentielle pour provoquer l'impulsion vers le changement, son impact n’est pas forcément le même chez tout le monde, y compris parmi des personnes au niveau de vie équivalent. Alors pourquoi cette différence ?

 

Une action déterminée par notre sensibilité et notre vécu personnel

 

Pour Cécile Sénémeaud et Jessica Mange, enseignantes et chercheuses au laboratoire de Psychologie de l’université Caen Normandie (France) et auteures de l’article « Rénovation énergétique : pourquoi l’incitation économique ne suffira pas », c’est très simple : nous n'avons pas tous la même conscience ou appréhension du contexte environnemental, quelle que soit l'enveloppe financière en jeu. Il existerait même quatre déterminants à prendre en compte chez un individu pour qu'il saute le pas : le cognitif, le motivationnel, l’émotionnel et le social. 

Le déterminant cognitif, c’est celui qui s’intéresse à la perception que la cible a du problème. En effet, il semble peu pertinent de se lancer dans un projet de rénovation quand les enjeux environnementaux semblent lointains ou, au contraire, inévitables. 

La second déterminant, c’est la motivation. C'est-à-dire : déterminer si la personne compte agir parce qu'elle le doit… ou parce qu'elle le veut vraiment. Où se situe-t-elle ?

L’aspect émotionnel est essentiel également. Ce projet de rénovation et la perspective du résultat final, quelles émotions cela va-t-il procurer à la personne ? Se sentira-t-elle rassurée ? Fière d’elle ? Satisfaite du devoir accompli ? Enjouée ? Découragée ? Déçue ? 

L’aspect social, enfin, est un aussi bien un levier qu’un frein. Et il est très puissant. C’est celui qui joue avec notre inconscient et notre envie de conformisme. Mes voisins ont-ils rénové ? Dans mon entourage, le sujet environnemental est-il très discuté ? Si la personne se sent en accord avec les siens, alors elle sera plus encline à se lancer dans un projet de rénovation.

On l’aura compris, malgré de fortes incitations financières, il est impossible d’initier un mouvement global sans se pencher sur ce qui anime vraiment les populations que l’on veut encourager à rénover leur logement.

 

Se tourner vers des approches plus personnalisées et plus impactantes

 

Si le motif économique reste tout de même central pour passer (ou non) à l'action, ce sont donc bien d'autres leviers psychologiques et sociaux qui nous engagent, avant même les raisons proprement environnementales. De fait, la prise en compte de l'état psychologique induit nécessairement un changement d'approche. 

La récompense n'est pas suffisante pour passer à la rénovation. Mais faire la leçon non plus. Comme l’explique Mickael Dupré, docteur en psychologie sociale, chercheur en communication environnementale, de récentes recherches en psychologie démontrent que pointer les comportements et leurs conséquences provoquent des émotions négatives, comme la culpabilité, qui in fine paralysent l’action. Quant aux discours moralisateurs sur l'environnement, ils ne sont plus efficaces car trop entendus. Chacun a beau savoir que les emballages plastiques sont moins recyclables que le verre ou le carton, par exemple, nous culpabiliser dans nos achats au quotidien n’est pas très engageant. En revanche, mettre en avant les emballages "verts", simples d’emploi, réutilisables : voilà qui encourage les actes vertueux. Mais au global, pour engager les citoyens, le mieux c’est encore de bien les connaître et les cibler pour adapter le fond et la forme des messages : s'adresse-t-on à une population motivée, peu sensibilisée, réfractaire... Cela change tout. 

 

Qu’est-ce qui peut alors motiver les populations ?

Plusieurs idées s'avèrent intéressantes. Comme le fait d’appuyer sur la valeur positive de la rénovation et les bénéfices qui en découlent sur la qualité de vie, le temps gagné au quotidien, ou encore l’effet domino positif sur son propre entourage. Autre levier intéressant : nous sommes des animaux sociaux et cherchons la validation et l’appartenance à un groupe. « Si mon voisin le fait, alors ça doit être positif », il nous faut parfois constater un comportement engagé chez l’autre pour nous y mettre aussi. Enfin, de façon assez naturelle, c’est la perspective d’un retour concret de leur action qui semble motiver les éco-citoyens en devenir et pour cause : il est plus simple d’apprécier un effort quand il livre un résultat visible.

A travers ces différentes études de perception, c’est une donnée nouvelle qui se précise : résumer la rénovation énergétique à une question d'argent d’urgence climatique ne suffira pas. C’est en s’appuyant sur le vécu singulier de chacun et en s'attachant à comprendre les leviers individuels qu’un changement écocitoyen d'envergure pourra se déployer – notamment au travers de la rénovation des bâtiments.

 

 

Crédits photos : Evgeny Atamanenko/Shutterstock ; Andrey_Popov/Shutterstock ; fizkes/Shutterstock

 

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