Bâtiment réel,
jumeau virtuel :
la construction
du futur

Fidèle réplique d’un objet, d’un procédé de fabrication, d’un bâtiment ou même d’une ville, le jumeau numérique s’impose progressivement dans la construction. Objectif : gagner en efficience, en économies et en durabilité. Comment fonctionne ce sosie virtuel ? Quels sont ses atouts, ses freins ? Et, surtout, quel est son avenir dans ce secteur en quête de neutralité carbone ? Découverte.

Jumeaux virtuels
En route vers la construction 4.0
Le jumeau numérique permet de simuler des processus, des matériaux et des systèmes mais aussi d’élaborer des scénarios de bâtis, tout en optimisant l’efficacité énergétique

Avril 1970. À la suite d’une explosion, la mission spatiale américaine Apollo 13 vire au cauchemar entre la Terre et la Lune. Pour sauver l’équipage, les équipes au sol de la NASA procèdent à de multiples simulations grâce à la réplique exacte de la capsule Apollo. Mission réussie. « Cet événement marque sans doute la naissance du concept de « jumeau technique », explique Renaud Jahan, Directeur des systèmes d’information Innovation chez Saint-Gobain. Un jumeau rebaptisé « jumeau numérique » dès 2002 par John Vickers, le Directeur du National Center for Advanced Manufacturing de la NASA, dans la « Feuille de route 2010 » de l’agence spatiale américaine.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Pour faire simple, un jumeau numérique n’est autre que la représentation virtuelle d’un objet, d’un système ou d’un procédé. Véhicule, chaîne de production, bâtiment, ville même (ainsi Singapour a été intégralement répliquée dans un jumeau numérique)… Aujourd’hui, tout – ou presque - peut être cloné à grand renfort d’Intelligence Artificielle, de data et de calculs. Mais pour déployer ce « super agent double », il faut bien évidemment des données. De très nombreuses données que l’on collecte dans le monde réel, via des capteurs communiquant. On appelle cela l’Internet des Objets (IoT). Une fois classées, analysées et digérées dans des « Data factory », souvent dans le cloud, ces données vont venir alimenter notre jumeau numérique, qui pourra ainsi créer des modèles d’apprentissage, simuler des scénarios, réaliser des prédictions ou automatiser des systèmes.

 

A LIRE AUSSI : "LE BIG DATA, CONCRÈTEMENT ÇA SERT À QUOI ?"

 

Clone virtuel et ligne de production

On comprend très vite l’intérêt de ce « double digital » pour des secteurs comme l’aérospatial, l’automobile ou l’aéronautique, qui vont pouvoir modéliser des centaines d’options, étudier et simuler des situations complexes ou problématiques (notamment des accidents), afin de choisir la solution la plus adaptée.

Aujourd’hui, c’est au tour du secteur de la construction de s’intéresser de près au jumeau numérique. Un intérêt qui se traduit par exemple par une multiplication des sosies virtuels des chaînes de production de matériaux. « Grâce au clone digital, nous pouvons par exemple identifier en amont d’éventuels risques de défaillances et y remédier par une maintenance préventive, explique Renaud Jahan. Il est également possible de simuler puis d’élaborer des scénarios permettant d’optimiser l’efficacité énergétique d’une ligne. » Exemple : la fabrication de plaques de plâtre, qui demeure énergivore, surtout pendant le processus de séchage. En reproduisant fidèlement cette ligne de façon numérique, il est alors possible d’imaginer différentes options pour gagner en performance.

 

A LIRE AUSSI : "INDUSTRIE 4.0 : L’HUMAIN AU CENTRE DE L’USINE INTELLIGENTE"

 

Explorer mille scénarios

Le jumeau numérique s’avère également utile pour les équipes de R&D, qui vont modéliser le comportement des matériaux avant de les fabriquer. Les bénéfices attendus sont nombreux : un gain de temps, plus de possibilités, une meilleure rentabilité mais aussi une performance énergétique accrue, puisque l’on peut analyser tout le cycle de vie y compris la revalorisation. Ainsi, le jumeau numérique permet d’explorer de multiples pistes et autorise finalement le droit à l’erreur, en simulant autant que de besoin.

Pour les équipes Projets, ce clone virtuel s’interfacera naturellement avec le BIM (ou maquette numérique du bâtiment), tous deux étant très complémentaires. D’un côté, le BIM facilite l’organisation du chantier et la communication entre les différentes parties prenantes grâce au partage d’information. De l’autre, le jumeau virtuel interagit en permanence avec le chantier et apporte une dimension « live » entre l’ouvrage physique et l’avatar numérique. Avec un intérêt majeur : la sécurité. Un exemple ? Munis de casques connectés, les ouvriers sur site pourront être prévenus dès qu’ils s’approchent d’un danger potentiel.

Ouvrier munis d'un casque connecté sur un chantier

 

Une collaboration multiple

En phase d’exploitation du bâtiment, le jumeau numérique pourra également servir de « cobaye » afin de réaliser des simulations ou des prédictions, en réponse à son environnement où à son utilisation. Dans sa version la plus aboutie, ce clone sera capable de configurer la façade solaire d’un bâtiment en fonction de son exposition ! Enfin, en phase de fin de vie, le jumeau numérique sera précieux pour prévoir les modes de déconstruction ou évaluer les matériaux à récupérer en priorité.

Le déploiement de ces nouveaux systèmes exige bien évidemment une profonde transformation de l’entreprise et une acculturation aux nouvelles technologies. Chez Saint-Gobain, cette démarche est le fruit d’une collaboration « multi-acteurs » entre les services R&D, les équipes chargées de la performance industrielle, les équipes digitales (data et cloud en particulier), mais aussi les clients qui développent leurs propres jumeaux numériques.

 

A LIRE AUSSI : "DATA, INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ?"

 

Villes jumelles

Embarquer toutes les parties prenantes est un point essentiel non seulement pour se familiariser à cette technologie mais aussi pour bien appréhender les enjeux et les précautions d’usages. En effet, qui dit data, dit protection des données personnelles… ou des données sensibles au niveau industriel. D’où l’obligation de collecter des données génériques (de flux, de déplacements) et totalement anonymes. L’autre point de vigilance, c’est bien évidemment la cybersécurité des bâtiments et chaines de productions connectés.

C’est vrai à l’échelle industrielle. Encore plus à l’échelle d’un territoire ! Car depuis une dizaine d’années, quelques villes avant-gardistes comme Singapour ou Rennes, en France, ont développé leur propre avatar numérique. Depuis, une vingtaine de projets similaires ont essaimé de par le monde, à Genève (Suisse), Lyon (France) ou encore Londres (Royaume-Uni). L’intérêt de ces jumeaux numériques territoriaux est multiple. Ils facilitent l’exploitation des infrastructures, optimisent la maintenance des réseaux et des équipements. Plus globalement, ils participent à la décarbonation de la ville, par une meilleure gestion opérationnelle des flux, associée à une optimisation énergétique des bâtiments (chauffage, air conditionnée, éclairage) et une maintenance prédictive des équipements.

Et c’est sûrement là tout l’enjeu des jumeaux numériques : aider à développer une économie vraiment bas carbone. Au niveau de la R&D, ils permettent de mieux appréhender le cycle de vie d’un matériau ou d’un produit avant même sa production. Ils permettent aussi de simuler leur comportement pour atteindre une efficacité carbone optimale, même dans le cadre de leur vieillissement. En conception, le jumeau numérique n’a pas son pareil pour imaginer des scénarios de pose, de dépose et de recyclage les plus vertueux possibles. Sur les chantiers, il va optimiser la gestion des flux et des matières consommées, en livrant la bonne quantité au bon moment. Indispensable pour contrôler un environnement à distance (éclairages, chauffage, air conditionné selon les conditions extérieures…), il assurera également d’une main de maître les opérations de maintenance et simulera les opérations de rénovation ou de démantèlement. Avec toujours cette approche bas carbone : faire mieux, en consommant moins d’énergie et de matières premières.

Simulation avec casque de réalité virtuelle

 

Bref, avec l’implantation de plus en plus de jumeaux virtuels dans les villes et les industries, les projets s’accélèrent, les produits ou les infrastructures sont analysés sous toutes leurs coutures, chaque décision envisagée fait l’objet d’une multitude de scénarios, avec pour objectif de retenir celui dont l’efficacité carbone est optimale.

Plus durables, plus faciles à réparer, à faire évoluer, ils répondent ainsi plus finement aux besoins des clients, des usagers… et surtout de la planète ! 

 

 

Crédits photos : Gorodenkoff/Shutterstock et DC Studio/Shutterstock