Circularité : et si on recyclait aussi les bâtiments ?

La solution à l’épuisement des matières premières était sous nos yeux, dans nos bâtiments… Regarder nos constructions comme des réserves de matériaux – ce que certains appellent BAMB, pour Building As Material Banks – pourrait bien révolutionner notre façon de bâtir. Un retour aux sources qui met le réemploi, le recyclage, mais aussi l’innovation, au centre d’un renouveau de la construction.

Recyclage bâtiment
La révolution du bâtiment réserve de matériaux

Pendant des millénaires, l’homme a construit et reconstruit ses maisons, ses palais et ses murailles, en se servant des matériaux limités qu’il avait sous la main. Le réemploi était de mise, épargnant les peines de l’extraction ou du transport. Les pyramides de Gizeh, en Égypte, ont ainsi perdu leur lumineux parement lisse en calcaire, réutilisé pour construire la vieille ville du Caire.

Tout change avec la révolution industrielle, qui bouscule la hiérarchie des coûts et des valeurs. L’efficacité bascule dans le camp du neuf. Elle condamne un nombre croissant de bâtiments et l’essentiel de leurs matériaux à prendre le chemin de la décharge.

Aujourd’hui, le secteur de la construction est responsable de plus d’un tiers de la production mondiale de déchets solides. Il absorbe la moitié des matières premières vierges extraites. Il concentre près de 40 % du carbone rejeté dans l’atmosphère. Or, l’urgence climatique impose de ramener ces émissions à zéro d’ici à 2050. Si l’on y ajoute la montée des tensions sur les approvisionnements en matières premières, il est temps de revenir au « bâtiment réserve de matériaux ».

Déconstruction totale ou partielle ?

Dès 2015, l’Union européenne a soutenu un ambitieux programme de recherche appelé BAMB, pour Building As Material Banks, c’est-à-dire « les constructions comme banques de matériaux ».

Six projets de construction s’en sont immédiatement suivis. Parmi eux, BRIC, pour Build Reversible In Conception, à Bruxelles, en Belgique. Un immeuble de bureau de 70 m², rapidement démonté, puis réintégré dans son intégralité à un magasin plus vaste de 130 m². Il a depuis connu une troisième reconstruction pour devenir un studio de radio. La technique utilisée pour sa structure – ossature-bois assemblée sans pointes ni colle – emprunte largement à la charpente traditionnelle. Le second œuvre, dont l’isolation, mobilise quant à lui des matériaux très contemporains, tels que les panneaux en gypse et en fibres de bois ou la ouate de cellulose à base de papier recyclé. Preuve qu’on ne parle pas ici d’un retour en arrière !

L’autre piste explorée par les promoteurs du « bâtiment-banque de matériaux » est la déconstruction partielle. Ici, comme dans un immeuble classique, la structure est construite pour durer le plus longtemps possible. Mais elle est aussi conçue pour faciliter une succession de réaffectations et de réaménagements. « Comment garantir la performance résiduelle d’une poutre en béton armé ou en métal de 50 ans et plus, une fois déposée ? C’est beaucoup plus facile pour des solutions ayant vécu des cycles courts, comme des cloisons intérieures utilisées dans des bâtiments tertiaires, surtout si elles ont été conçues dès le départ pour être proprement démontées », explique Xavier Meyer, Directeur Economie circulaire de Saint-Gobain.

construction modulaire

C’est sur ce modèle qu’a été conçu le Village des athlètes qui accueillera les participants aux Jeux Olympiques de Paris en 2024. 120 000 m2 de structures qui seront intégralement transformées en bureaux, commerces et logements une fois l’aventure olympique terminée. Pour cela, Saint-Gobain a développé, fabriqué et livré 60 000 m2 de cloisons intérieures Placo® de nouvelle génération. Ajustable sans enduit, ce système de cloison temporaire est doté d’un système de fixation unique qui permettra de la retirer sans laisser de trace de son passage. Il a été spécialement conçu pour faciliter sa réutilisation. « Le Village des athlètes, c’est le bâtiment de l’avenir, lisible dans sa conception, composé de systèmes simples et de matériaux sains, qui ne remettent pas les problèmes à plus tard », résume Maïté Ketterer, Directrice Economie circulaire Saint-Gobain Solutions France.

Les filières font leurs premiers pas

Réemploi ou recyclage ? C’est le deuxième dilemme qui traverse le débat sur le bâtiment ressource. Le réemploi a l’avantage d’éviter toute émission liée à un nouveau cycle de fabrication. Le recyclage a celui de produire des matériaux plus performants qui réduiront l’empreinte des futurs bâtiments. Chacun a donc son intérêt, selon la situation.

 

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Côté réemploi, démonter, transporter, trier, nettoyer, stocker et commercialiser coûte cher. Seuls quelques opérateurs sont à ce jour parvenus à se mettre à l’échelle, comme ROTOR, toujours en Belgique, qui propose déjà plus de 3 000 références en ligne. Une initiative exemplaire qui reste soumise à l’engagement des maîtres d’ouvrage acceptant de prendre en charge les contraintes et les surcoûts de la seconde main. Pour tester de nouvelles solutions qu’ils espèrent plus compétitives, 23 organismes privés et publics (dont Saint-Gobain) viennent d’unir leurs forces avec DRASTIC[1], un nouveau projet soutenu par l’Union Européenne. En Allemagne, le Groupe fera notamment poser, déposer puis reconditionner, une isolation par l’extérieur. D’autres volets s’intéresseront au réemploi d’éléments de structures métalliques, aux bois de construction ou aux façades photovoltaïques, productrices d’énergie. Les travaux démarrent en octobre 2023.

 

Recyclage Gypse

 

Côté recyclage, le cours parfois très bas des matières premières vierges peut faire barrage. C’est par exemple le cas du gypse, dont les réserves demeurent importantes et accessibles. Là encore, Saint-Gobain se positionne en tant que leader sur ces problématiques, en intégrant dans sa production de plaques de plâtre en Europe de l’Ouest Et ce malgré le surcoût dans certains pays ! Cela participe à jeter les bases d’une filière de recyclage pérenne. Aujourd’hui, l’arrivée d’une nouvelle réglementation en France va au contraire favoriser le tri des déchets sur le chantier, et donc leur recyclage. De quoi accélérer la transition circulaire du bâtiment, comme s’y prépare Saint-Gobain depuis des années : « Nous sommes prêts à utiliser massivement le verre plat issu des chantiers dans nos fours verriers. Chaque tonne de calcin enfournée nous fait économiser 700 kg de CO2 sur tous les Scopes ! » résume Maïté Ketterer.

De mémoire de bâtiment

Qu’on privilégie déconstruction totale ou partielle, réemploi ou recyclage, on ne peut valoriser correctement un bâtiment en fin de vie sans savoir ce qu’il contient ! Il faut donc garder en mémoire la composition et l’histoire de ses composants. La maquette numérique, ou Building Information Model (BIM), qui accompagne désormais la construction de nombreux édifices, semble le support tout indiqué. Elma Durmisevic, architecte néerlandaise, travaille depuis deux décennies sur la construction circulaire. Dans le cadre du projet BAMB, elle a mis au point « Reversible BIM tool », petit programme informatique capable de qualifier le potentiel de réutilisation de chaque élément d’un bâtiment en fonction de ses caractéristiques : composition, technique initiale d’assemblage, interventions ou altérations ultérieures et peut-être, demain, valeur de revente. En quelques clics, le BIM livrerait ainsi la valeur résiduelle d’un bâtiment et les clés de sa déconstruction.

 

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Encore faudra-t-il avoir doté dès sa sortie d’usine chaque solution d’un passeport digital, contenant toutes les informations nécessaires sur sa réemployabilité et sa recyclabilité, en précisant par exemples quelles substance elle contient. L’Union européenne y travaille, car aucun format standardisé n’existe encore. L’État luxembourgeois a pris l’initiative d’en proposer un avec le Product Circularity Data Sheet (PCDS), ouvert à toutes les contributions. Saint-Gobain s’est naturellement associé à la démarche. « Concernant les substances dangereuses, seule l’Union européenne a l’expérience d’une obligation déclarative, avec la réglementation REACH sur les substances chimiques. Ailleurs, et notamment aux États-Unis, c’est plutôt la voie de la démarche volontaire – via des labels – qui a été privilégiée. La révision en cours de la réglementation européenne pour les produits de construction devrait intégrer le réemploi dans son scope et renforcer les exigences sur la déclaration de performances environnementales, notamment liée à la circularité. Voilà qui devrait faire passer réemploi et recyclage à la vitesse supérieure ! » conclut Pascal Éveillard, Directeur Construction durable de Saint-Gobain.

 

 

[1] Pour Demonstrating Real and Affordable Sustainable Building Solutions with Top level whole life cycle performance and Improved Circularity (Démontrer des solutions de construction durable réelles et abordables avec une performance de haut niveau sur l'ensemble du cycle de vie et une circularité améliorée).

 

Crédits photos : Shutterstock/Ant ClauseniStock/bilanol; Matjaz Tancic