La pénurie de logements est-elle la mère de tous les problèmes ?

Partout dans le monde, mais spécialement dans le monde occidental, les logements sont devenus rares… et chers. Une situation qui accentue les problèmes de santé et même le changement climatique, comme en témoignent de nombreuses études. Mais au fond, quelle est la racine du problème ? Et la construction préfabriquée pourrait-elle aider à le résoudre ?

Houses
Pour parvenir à une solution flexible et réglementée, il faut s’intéresser à la construction modulaire et préfabriquée.

Pour les Britanniques Sam Bowman, John Myers et Ben Southwood, nombre des problèmes qui pèsent sur l’Occident sont causés par la rareté et le prix élevé des habitations. Un point de vue convaincant, car chacun peut constater les conséquences tangibles de cette crise

Prix élevés et stocks limités, en particulier dans les zones métropolitaines : le secteur du logement est pris dans une spirale infernale. Convoquer l’image d’un cyclone pourrait sembler exagérée, mais pourtant nous n’en sommes pas loin. De juillet 2020 à juin 2021, alors que le monde peinait à se remettre des confinements liés à la crise du Covid-19, le coût des logements dans 10 pays développés a augmenté de 12 %. La plus importante hausse étant enregistrée en Turquie, à 29 %. En parallèle, sur un échantillon de 200 villes dans le monde entier, seules 10 % d’entre elles proposaient un marché du logement abordable. Aux États-Unis, un travailleur à temps plein payé au salaire minimum sera en mesure de louer un appartement dans 12 États, et pas un de plus. Si l'on ajoute à cela les faibles taux d'intérêt pour les crédits bancaires immobiliers, qui font de la possession d'un bien supplémentaire un investissement stable et lucratif, et les chiffres affolants d’une demande vertigineuse, on comprend pourquoi les prix ne s’orientent que dans une seule direction.

L' est s'en sort mieux que l'ouest

Pour Anthony Breach, analyste senior au Centre for Cities (un think tank britannique sur l’urbanisme), si les logements sont rares et inabordables, c’est parce que la demande est nettement supérieure à l’offre, en particulier dans les pays occidentaux. Une situation que ne connaissent pas les pays de l’est de l’Asie. Anthony Breach pense que les pays dont l’histoire est marquée par la jurisprudence (un système de droit fondé sur des précédents judiciaires enregistrés), tels que l’Inde et l’Afrique du Sud, sont particulièrement affectés par ces coûts élevés, quand, à l’inverse des pays comme le Japon et la Corée du Sud ont su faire croître leurs économies tout en proposant des logements à des prix abordables.

Cela s’explique par la structure des systèmes d’urbanisme de ces pays, davantage fondés à la fois sur des règles clairement établies et sur une approche plus souple, permettant ainsi de limiter les restrictions et les décisions au cas par cas que l’on retrouve souvent dans les politiques occidentales en matière de logement. En effet, en Occident, les permis de construire sont délivrés au bon vouloir de la municipalité. Les terrains en zones urbaines sont donc souvent sous-développés et peu exploités, ce qui restreint sensiblement le nombre de logements qu’on peut y construire. En revanche, au Japon, l’espace urbain est organisé en 12 zones. Si une demande d’aménagement respecte les règles de la zone concernée, le permis de construire peut être accordé. Ainsi, de 1995 à 2020, le ratio du coût des logements par rapport aux revenus des ménages a augmenté de 100 % en Suède et diminué de 40 % en Corée du Sud…

 

Les logements trop chers appauvrissent les individus et les nations

Les conséquences de cette crise du logement sont multiples. Tout d’abord, nous dépensons beaucoup trop d’argent pour payer nos loyers et nos crédits immobiliers, au lieu de l’injecter dans l’économie réelle. L’un des indicateurs d’accessibilité des prix les plus courants, c’est le taux de surcharge du coût du logement, soit la part des ménages qui consacrent plus de 40 % de leur revenu au paiement de leur loyer. Au Royaume-Uni, 49 % des locataires à faible revenu du secteur privé sont concernés contre 25 % en Australie, et seulement 14 % en Allemagne. Un loyer trop cher qui laisse peu de marge pour payer d’autres éléments essentiels, comme de la (bonne) nourriture et des équipements de qualité. C’est un fait : les logements coûteux nous ruinent, à court et à long terme.

 

Les logements trop chers accroissent les inégalités et nuisent à la santé des occupants

Le logement occupe une place majeure dans le portefeuille d’actifs patrimoniaux d’un citoyen, ce qui crée un gouffre entre propriétaires et locataires. En moyenne, le patrimoine net des propriétaires en Europe est 40 fois supérieur à celui des locataires, et, selon une étude, l’indicateur-clé pour mesurer l’ascension sociale d’une génération, c’est l’accession à la propriété des parents.

Si le patrimoine des propriétaires immobiliers augmente, celui de leurs locataires est sur le déclin. La rareté des logements incite des propriétaires peu scrupuleux à proposer des biens insalubres, alors même que l’humidité et la moisissure peuvent entraîner des troubles respiratoires et des affections pulmonaires.

 

A LIRE AUSSI : "CONSTRUCTION : LE CERCLE VERTUEUX DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE"

 

La situation géographique d’un logement joue également beaucoup sur la santé de ses occupants, à l’instar des 23,5 millions d’Américains qui vivent dans de véritables déserts alimentaires. Sans véhicule pour se déplacer, ni supermarché à proximité, ils sont contraints de s’en remettre aux fast-foods et supérettes, ce qui entraîne des problèmes alimentaires tels que du diabète, de l'hypertension et des excès de cholestérol.

Dans les grandes métropoles aux loyers exorbitants, la qualité des soins de santé est aussi menacée… en effet, comment soigner efficacement si des personnels essentiels comme infirmiers et aides-soignants ne peuvent plus s’y loger ? Selon Anthony Breach, l’équation est évidente, « si vous rendez le logement plus abordable pour tout le monde, et donc notamment pour les infirmières, cela permet aux hôpitaux de recruter plus facilement ces fameuses infirmière… et, in fine, à chacun d’être mieux soigné. »

 

Plus de trafic, moins d’innovation

La rareté des logements affecte non seulement la santé et le compte en banque des habitants, mais aussi celles de la ville et des régions alentours. Car les populations obligées de se loger loin de leur lieu de travail, dans des zones mal desservies par les transports en commun, dépendent de leur véhicule personnel pour tous leurs déplacements. Un état de fait qui accroît la pollution atmosphérique et conduit à la perte de nombreuses heures de productivité en raison du trafic. À Mexico City, par exemple, on estime qu’un conducteur perd en moyenne 218 heures par an dans les embouteillages. À New York, ce sont 133 heures et à Los Angeles, 128 heures. L’innovation et la productivité sont aussi freinées par la cherté du logement dans les grandes villes. Si les chercheurs, les PME, les grandes entreprises, les universités, les institutions gouvernementales ainsi que les investisseurs et les entrepreneurs ne peuvent se trouver tous au même endroit, dans un lieu de vie partagé qui favorise les rencontres et la germination d’idées, aucune innovation ne voit le jour.

 

Comment adapter la législation ?

Face à ce problème, Anthony Breach estime que les règles des permis de construire devraient être plus claires et prévisibles. Cela permettrait de rassurer les promoteurs et les encouragerait à bâtir plus de logements. En Europe, dans de nombreux pays, les règles sont arbitraires et imposent au promoteur et au propriétaire de soumettre l’intégralité de leur projet aux autorité locales. Par exemple, au Royaume-Uni, Anthony Breach rappelle que ce sont les élus locaux qui déterminent dans quels endroits d’une commune de nouveaux logements sont politiquement acceptables… Là où la décision devrait plutôt découler d’une volonté d’optimisation du territoire. «Et pourtant, si l’on adoptait un modèle plus flexible et cadré, on constaterait une amélioration immédiate et continue de la crise du logement », regrette-t-il.

 

A LIRE AUSSI : "LA CONSTRUCTION LÉGÈRE EST-ELLE L’AVENIR DE L’HABITAT ?"

 

La construction traditionnelle : un processus coûteux et interminable

Lorsqu’un terrain devient disponible et obtient un permis de construire, de plus en plus d’options peuvent être envisagées. Pour ce qui est d’une construction traditionnelle, le coût de la main-d’œuvre et des matériaux doit être pris en compte. En 2021, le prix des matériaux de construction au Royaume-Uni a atteint son plus haut niveau en 40 ans, tandis qu’en Australie, les coûts de construction ont augmenté de 7 %. Le temps est un autre facteur important à prendre en considération, puisqu’en moyenne il faut 7 mois pour construire une nouvelle maison, sans compter la conception.

Les structures préfabriquées, tout comme les habitations neuves ou les extensions avec une ossature en bois ou métallique, pourraient bien constituer une solution, au regard des nombreux avantages qu’elles présentent par rapport aux constructions conventionnelles. Parce que leurs composants, y compris les systèmes d’alimentation en eau et les circuits électriques, sont fabriqués en usine et ne subissent pas de retards liés aux conditions météorologiques, ces logements préfabriqués peuvent être bâtis en à peine 10 semaines. C’est ainsi que Saint-Gobain a pu participer à la rénovation d’un foyer pour enfants en Allemagne, un chantier qui a pris seulement 3 mois, tandis qu’un promoteur chinois a construit un immeuble modulaire de 10 étages en un temps record de 29 heures.

 

A LIRE AUSSI : "CONSTRUIRE VITE, C’EST CONSTRUIRE MIEUX ?"

 

Ces délais relativement courts permettent de faire baisser les coûts de main-d’œuvre et de rendre les logements accessibles plus rapidement aux personnes qui en ont besoin. Chaque seconde compte, puisqu’on estime que les États-Unis devraient construire l’équivalent de 3 années de logements… en 1 an, pour répondre à la demande de sa population, alors que le Royaume-Uni devrait construire 340 000 logements chaque année jusqu’en 2031 pour rattraper son retard.

Préfabriqués

 

Les constructions préfabriquées sont rapides et utilisent des matériaux écoresponsables

Les constructions modulaires et préfabriquées constituent également une option plus durable, étant souvent composées de bois ou de gypse. Le bois est un matériau écoresponsable, car il absorbe le CO2 en se développant. Et puis il peut aussi être recyclé si le bâtiment est démoli ou agrandi. Le gypse, quant à lui, est un minéral souvent utilisé pour fabriquer de l’engrais et des craies. Le gypse renforcé aux fibres de verre (GRG) est utilisé pour fabriquer les panneaux muraux résistants au feu, isolés sur le plan thermique, imperméables et recyclables. On retrouve également d’autres matériaux comme les briques et les blocs de bois obtenus à partir de papier recyclé, plus respectueux de l’environnement. En Russie, un système de façade préfabriquée mis au point par Saint-Gobain sur une ossature en acier composée de plaques de plâtre, de laine de verre et de panneaux de ciment. Cette façade émet 10 fois moins de CO2 que les façades traditionnelles.

Les processus de fabrication automatisés et optimisés des bâtiments modulaires et préfabriqués permettent de réduire les coûts. Pour autant, d’autres innovations sont en mesure d’accélérer le processus de construction. Ainsi, les robots-maçons peuvent poser jusqu’à 3 000 briques par jour, les plaques de plaques de plâtre prédécoupées minimisent les pertes et font gagner du temps, et le BIM permet d’optimiser les sites en planifiant et en coordonnant les opérations.

Face à cette pénurie de logement, on le voit, plusieurs solutions peuvent tout de même être mises en œuvre – en particulier la réglementation des permis de construire et les différents processus de construction préfabriquée. Des approches qui pourraient changer totalement la donne. Car, comme Anthony Breach le souligne, « C'est essentiel, car si l’on règle la crise du logement, cela facilite la résolution de nombreux autres problèmes. »

 

Crédits photos Carlos Caetano/Shutterstock et brizmaker/Shutterstock

Construction : le cercle vertueux de l’économie circulaire

image

La construction légère est-elle l’avenir de l’habitat ?