Quand l’entreprise réinvente ses modèles de leadership
Face aux grands défis sociaux, sociétaux et économiques, le modèle du leader conquérant, seul décisionnaire, est-il encore le plus pertinent ? Ces dernières années, mouvementées, ont en effet mis en lumière d’autres formes de management, plus collaboratives, moins descendantes. Diriger par l’empathie et le partage serait-il la clé de la réussite ?

La première chose qu’il faut déconstruire, c’est l’idée qu’il n’existe qu’un seul type de bon leader, avec un modèle de compétences unique.
Un dirigeant doit-il être aimé ou craint ? C’est en substance la question que se posait Machiavel dans son célèbre ouvrage Le Prince, au XVIe siècle. Pendant longtemps, l’Histoire a répondu à l’interrogation du penseur italien par l’exaltation des « héros-guerriers » d’Alexandre le Grand à Winston Churchill, en passant par Jules César.
Tout naturellement, les premières bases de la gestion moderne du travail, au début du XXe siècle, se sont calquées sur ce modèle autoritaire et traditionnel. À l’époque, on attend d’un dirigeant qu’il soit un « vrai chef » qui commande, organise, et contrôle. Dans ce management directif, pas question de négocier ni de discuter les ordres. Les décisions sont prises en haut lieu, sans consultation.
Ce modèle pyramidal s’est longtemps imposé dans les entreprises, partout à travers le monde, laissant peu de place au dialogue et à la créativité des collaborateurs. Même si la question du leadership collaborative est abordée dès les années 1960 par Douglas McGregor, enseignant au MIT Sloan School of Management de Boston (États-Unis), avec ses « Théories X et Y », il faudra encore de nombreuses années pour que l’approche descendante « traditionnelle » soit progressivement questionnée puis remplacée par le leadership collaborative qui tend à s’imposer aujourd’hui.
Émancipé de son grand frère « autoritaire », ce nouveau management, plus ouvert, pousse les salariés à la flexibilité et à l’implication de tous pour atteindre un objectif commun.
Une accélération avec la crise
Timide à ses débuts, cet encadrement plus horizontal des équipes – notamment dans le monde tertiaire – gagnait progressivement du terrain depuis quelques années… Jusqu’à devenir une réalité palpable et même une quasi-évidence avec la récente pandémie.
Les confinements successifs, l’avènement du télétravail ou encore l’adaptation des rythmes de travail sur les sites de production ont exigé une autonomie accrue des collaborateurs. L’atomisation des organisations leur a demandé davantage de flexibilité et d’adaptation. En cela, la crise du Covid-19 a servi de rampe de lancement pour remodeler les règles du management et des relations interpersonnelles.
« La transformation du leadership est aujourd’hui inévitable, analyse Valérie Gervais, Directrice de Saint-Gobain University, interviewée dans le podcast Hacking HR. Dans un monde où tout va très vite, les collaborateurs ont des attentes plurielles. Ils ne sont plus à la recherche de managers du genre Trivial Pursuit, ayant réponses à tout. Le monde a un besoin urgent d'un nouveau type de leaders, plus flexibles. » En effet, on attend désormais d’un dirigeant qu’il soit capable d’encourager l’engagement de chacun afin de mener à bien les multiples transformations face aux défis contemporains.
Mais alors, l’entreprise glisserait-elle vers un nouveau contrat social ? Oui, et ce contrat s’appuie massivement sur l’intelligence émotionnelle et l’adhésion de l’équipe à un projet d’entreprise global. En véritables chefs d’orchestre, les leaders « nouvelle vague » doivent mettre en musique les orientations de l’entreprise, dans une symphonie d’authenticité et de culture de la confiance.
À la rencontre de nouveaux modes de leadership
En radicale opposition avec un management traditionnel souvent rigide, le leadership participatif encourage ainsi les salariés à donner leur avis, mais aussi à faire preuve de créativité. Le tout dans un esprit d’innovation partagée. Boîtes à idées, brainstorming, team-building : dans ce modèle, le manager n’est plus ce chef qui mène ses troupes à la baguette. Il devient plutôt ce leader qui (s’)implique et encourage la coopération et l’ouverture à la multitude des modes de pensée.
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Misant sur la confiance, la responsabilisation et la collaboration au sein du groupe Saint-Gobain ce management plus transversal est encouragé à s’exprimer au quotidien. Par cette posture plus agile, le Groupe veut renforcer sa culture de l’innovation, en favorisant la créativité, l’initiative individuelle et la prise de risques]. En disposant d’un fort pouvoir d’action et de décision, les équipes se sentent plus impliquées, adhèrent à la culture d’entreprise et participent pleinement à la performance globale.

C’est là tout l’enjeu d’un véritable leadership participatif : celui-ci doit offrir un cadre de travail inclusif, faire preuve d’exemplarité et favoriser la formation pour mieux comprendre les diversités. Tout le monde peut y gagner, les collaborateurs comme l’entreprise, qui devient plus performante et plus agile dans un contexte concurrentiel.
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D’ailleurs, pour le psychosociologue américain Kurt Lewin, véritable père-fondateur des sciences sociales, ce leadership participatif est de loin le management le plus efficace, pour favoriser l’engagement de tous.
Autre type de leadership, le management « délégatif », qui donne aux équipes une feuille de route avec des missions et résultats à accomplir, tout en leur accordant un grand pouvoir de décision dans la poursuite de leurs objectifs et la mise en œuvre de leurs plans d’actions. Selon Kurt Lewin, ce type de management serait à réserver aux experts qualifiés et autonomes, ayant déjà développé une vision à long terme des projets.
Dans un autre style, le management persuasif ou visionnaire, à la Steve Jobs, fondateur d’Apple, est un savant mélange de directif et de collaboratif. Porté par un leader charismatique, il fixe des objectifs précis, explique les décisions et cherche à convaincre… Tout l’art sera de pousser l’équipe à atteindre un haut niveau de performance tout en lui offrant un cadre rassurant et créatif.
Pas de recette miracle !
N’allez pas croire pour autant qu’il existe une seule recette miracle pour un leadership réussi. Le secret d’un bon leader, c’est avant tout d’être dans la bonne posture au bon moment !
« La première chose à déconstruire est l'idée qu'il n'existe qu'un seul type de bon manager, avec un modèle de compétences unique, tempère Valérie Gervais. Réinventer le management, c’est finalement apprendre à nos dirigeants à danser entre différentes attitudes. Entre la force et la bienveillance, par exemple. Entre savoir challenger et savoir rassurer. Ou encore entre apporter de la clarté et une vision, mais aussi être dans l’écoute. »
Un travail d’équilibriste donc, qui demande de bien de se connaître et d’accepter de renoncer à l’archétype traditionnel du guerrier ou de la femme de pouvoir – Zeus, Artemis, Hadès, Athéna – pour s’ouvrir à de nouvelles potentialités. Devenir « plus rond » disait le psychiatre Carl Jung, c’est-à-dire devenir plus complet, en réintégrant toutes les facettes de notre personnalité pour pouvoir avoir la bonne posture et le bon style dans chaque situation.
La crise a accéléré la tendance vers ce management bienveillant (à la fois participatif, visionnaire et équilibré) dans lequel le dirigeant est tour à tour, un guide qui montre le chemin, un visionnaire qui inspire, un entraîneur qui développe les qualités de chacun au service du collectif. Un management qui vise finalement à développer le sentiment d’appartenance, afin de gagner l’adhésion de tous.
Collaboratif, « délégatif », visionnaire, bienveillant… Oui, tout cela est essentiel, mais attention à ne pas se perdre : « L’idée n’est pas de définir un modèle de leadership et d’essayer que les gens s’y conforment », rappelle Valérie Gervais. « Ce qu’on doit réussir, c’est de prendre les gens là où ils sont et les rendre plus flexibles, plus complets. Il faut développer des leaders qui soient équilibrés, qui parviennent à puiser en eux pour apporter une énergie plus inspirante, bienveillante et motivante »
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