Le béton durable : passer du gris au "vert"
Malgré des siècles de bons et loyaux services, le béton affiche aujourd’hui une empreinte environnementale qui exige un changement radical. Faut-il le remplacer systématiquement par des alternatives biosourcées ? Ou faut-il mobiliser le génie humain pour rendre ce matériau plus "vert" ? Sortons des clichés pour comprendre, comparer et analyser les différentes solutions et innovations d’une construction plus durable.

Depuis les premiers usages par les romains il y a plus de 2 000 ans, le béton s’est invité dans nos vies modernes : bâtiments, routes, ponts, canalisations… C’est aujourd’hui le matériau le plus consommé au monde, après l’eau, selon la Global Cement and Concrete Association. Polyvalent, solide, économique, le béton a fini par être victime de son succès : on lui reproche depuis de nombreuses années son empreinte visuelle, et désormais, son empreinte environnementale. Cette dernière est indéniable : le béton est responsable de près de 8 % des émissions de CO2 globales selon le think tank Chatham House. Et même si ce chiffre retombe à 2 % à l’échelle de la France, comme d’un grand nombre de pays où les infrastructures sont déjà très nombreuses, il alourdit l’empreinte du secteur de la construction (37 % des émissions de CO2 mondiales). Mais est-ce bien raisonnable pour autant de rendre le béton coupable d’une grande partie des maux de notre planète ?
Des propriétés inégalables
Plus que le choix du matériau, c’est la (sur)construction qui dérange. Face à la croissance démographique et à l’urbanisation galopante, il paraît difficile de se passer du béton pour bâtir demain. Rappelons tout d’abord que le béton est un matériau structurel : il existe donc très peu d’autres candidats capables de surpasser sa résistance, en particulier pour des constructions de grande taille, des constructions industrielles lourdes et des infrastructures aux différentes typologies. Les preuves concrètes de cette résistance extrême ne manquent pas. Dans le temps tout d’abord. Nombreuses sont les structures construites dans ce matériau qui ont au moins un siècle d’existence. Certains édifices bâtis durant la Rome antique, dont le célèbre Panthéon, sont même millénaires ! En cela, le béton est indéniablement durable. « Le béton est également très résistant, tant au feu qu’en cas de catastrophes naturelles », précise Lisa Barnard, Sustainability & Customer Engagement Program Manager chez CHRYSO et GCP. Un point important à l’heure où ces catastrophes ne cessent de se multiplier.
Autre avantage du béton : son inertie thermique. Là où les matériaux biosourcés chauffent ou refroidissent assez vite en fonction des températures environnantes, le béton résiste à ces variations. Cette masse thermique en fait un matériau capable d’emmagasiner chaleur ou fraîcheur, et de la restituer peu à peu. En été, le béton absorbe la fraîcheur la nuit et la diffuse en journée, limitant les besoins en climatisation par exemple.
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La chimie de la construction : une solution pour décarboner
Le grand reproche fait au béton vient principalement de l’empreinte environnementale de ses méthodes de production. Pour rappel, pour préparer du béton, il faut des gravillons, du sable, du ciment et de l’eau. Les gravillons, le sable et l’eau n’étant pas transformés, leur empreinte carbone ne dépend que du transport qui a permis de les acheminer. Mais le ciment, ou plus précisément une de ses composantes, le clinker, est obtenu en mélangeant du calcaire et de l’argile broyés, cuits à très haute température. Et c’est cette étape qui est qui est à la fois émettrice de CO2 et fortement consommatrice en énergie. Elle est, in fine, majoritairement responsable de l’empreinte carbone du béton.
C’est pourquoi la recherche se concentre sur l’économie de ciment, ou plutôt de clinker, dans le béton. Plusieurs options existent pour décarboner le ciment. Tout d’abord en essayant de réduire la consommation d’énergie liée à la calcination de ses matières premières, que ce soit grâce à la rénovation de l’outil industriel et plus concrètement l’installation de fours plus performants. Il est possible aussi de les faire fonctionner grâce à des sources d’énergies plus propres, parfois issues de la biomasse, se substituant en partie aux combustibles fossiles.

CHRYSO et GCP ont aussi plusieurs leviers d’action pour réduire l’empreinte CO2 du béton : d’abord les activateurs ajoutés dans la formulation du ciment, qui permettent de réduire la quantité de clinker (à iso-performance). Le second levier est l’adjuvantation des bétons : « aujourd’hui, nous sommes capables de proposer à nos clients des adjuvantations pour des bétons robustes ultra-bas carbone qui répondent aux enjeux de la construction durable », explique Frédéric Guimbal, Vice-Président Exécutif de la Business Unit Chimie de la Construction chez Saint-Gobain. Grâce à une adjuvantation dédiée, Chryso permet à Hoffmann Green de déployer un « ciment décarboné zéro clinker » avec une empreinte carbone divisée par 5.
Matériaux biosourcés… Pourquoi ils ne peuvent être qu’un complément
Faut-il chercher des alternatives du côté des matériaux biosourcés ? Le bois comme la paille, le chanvre, la terre crue ont bien évidemment leur place dans le mix des matériaux pour construire durable. Qui pourrait décemment trouver à redire face à ces matériaux naturels, renouvelables et facilement recyclables ? L'énergie nécessaire à leur fabrication, pour certains d’entre eux en tout cas, est par ailleurs très faible puisque dans le cas de la terre crue par exemple, aucune cuisson n’est nécessaire.
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Mais comme souvent, le mieux étant l’ennemi du bien, leur généralisation en vue de remplacer les matériaux traditionnels n’est pas souhaitable. En effet, dans un monde où la démographie et l’urbanisation sont galopantes – rappelons en effet que d’ici 2050, 2 milliards d’humains supplémentaires peupleront la Terre et qu’il y aura 2,5 milliards de citadins en plus – il faut construire vite et pas (trop) cher. Or, les matériaux biosourcés, souvent beaucoup plus complexes et longs à fabriquer, risqueraient de considérablement allonger les délais de construction.
Plus grave : développer fortement la construction en bois pourrait avoir des effets délétères sur la biodiversité. Ainsi, une étude publiée en août 2022 dans la revue scientifique Nature Communications par des chercheurs de l’institut de recherche de Potsdam, montre que pour couvrir les besoins nécessaires à une transition vers une ville majoritairement construite en bois, de nouvelles plantation, hautement productives en bois seraient nécessaires, avec des impacts sur l’utilisation – en terme de concurrence, notamment agricole – des terres ainsi que sur la biodiversité, les écosystèmes naturels étant remplacés. Ainsi, ces solutions sont sans doute complémentaires mais dans tous les cas ne peuvent se substituer au béton. Enfin n’oublions pas que l’empreinte carbone d’un matériau provient en partie de son transport. Un matériau biosourcé qui provient du bout du monde aura un bilan carbone catastrophique.
Soyons réalistes, la construction durable ne se passera pas du béton, et c’est plutôt une bonne nouvelle. Deux millénaires d’histoire sont là pour prouver ses qualités, et les progrès de l’ingénierie et de la chimie de la construction, couplés à une prise de conscience d’une nécessaire décarbonation de la production de ce matériau, pavent la voie vers des bétons toujours plus "verts".
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